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LES JEUNES COMMUNISTES DE LA LOIRE CONTRE LE RACISME ET L’ISLAMOPHOBIE

🔴 Les Jeunes Communistes de la Loire étaient présents cet après-midi à la manifestation contre le racisme et l’islamophobie organisée à l’initiative du Collectif stéphanois contre l’islamophobie et pour l’égalité

Les personnes victimes de racisme ou d’islamophobie sont de plus en plus nombreuses dans notre pays, et cela va de pair avec une banalisation de la parole raciste, véhiculée par une grande partie de la classe politique.

Ces discours racistes et islamophobes n’ont pour seuls buts que de détourner et d’empoisonner la conscience des travailleurs, de leur faire accepter l’oppression de leurs frères de classe, de diviser ainsi notre camp et renforcer celui de la bourgeoisie.

Comme depuis toujours, l’État bourgeois compte sur cette division du prolétariat pour mieux nous exploiter et nous réprimer sans menace d’une réponse unie de l’ensemble de la population, espérant bien que celle-ci tombe dans le piège du racisme, empêchant ainsi toute solidarité de classe.

Comme nous le rappelait si bien la militante communiste Angela Davis : « Pour détruire les racines du racisme il faut renverser tout le système capitaliste ». Les Jeunes Communistes de la Loire font leurs ces propos de notre camarade afro-américaine et luttent dans cette voie.

Seule l’union de tous les travailleurs, sans distinction, autour du projet commun d’une société de paix, de travail et de dignité pour tous, le socialisme-communisme, pourra mettre un terme aux oppressions racistes !

À bas l’État bourgeois raciste et criminel !
À bas le capitalisme et l’impérialisme !

🔴 Notre intervention lors de la manifestation :

“Le 6 juillet 2020, le gouvernement Castex est constitué. N’ayons pas peur des mots, c’est le gouvernement le plus réactionnaire, le plus malveillant et le plus agressif qu’il nous est été donné de voir depuis des décennies.

Depuis cette date, le gouvernement et le chef de l’État ont fait sauter les digues politiques qui contenaient encore l’avancée de l’extrême-droite. En reprenant les rhétoriques de cette dernière ils l’ont complètement banalisée dans le champ politico-médiatique. Le scénario est rodé. L’extrême-droite et la droite-extrême exultent leur indignation sur des faits divers choisis et décontextualisés, les médias réactionnaires reprennent les informations, les politiques au pouvoir et les médias du centre la reprennent à leur tour et c’est ainsi que sont alimentés les haines et les divisions dans notre pays.

Depuis juillet 2020, des associations musulmanes ont été dissoutes, des mosquées ont été fermées, le CCIF, une association de lutte contre les discriminations subies par les musulmans, a été obligé de quitter le territoire national. Des attaques contre les chercheurs en sciences sociales ont été menées sous couvert d’une lutte contre un islamo-gauchisme, véritable fourre-tout idéologique et marque de l’extrémisme de droite, avec une volonté d’ingérence politique dans la production des savoirs universitaires. Depuis quelques semaines, c’est l’UNEF, un syndicat étudiant qui est dans le collimateur du gouvernement… Des voix s’élèvent aujourd’hui pour réclamer sa dissolution.

De l’attaque islamophobe initiale, on est donc passé à une offensive d’une ampleur beaucoup plus vaste et qui s’en prend désormais sans complexe à la partie de la gauche qui refuse de céder à l’islamophobie.

Cette offensive réactionnaire du gouvernement, symptomatique de politiciens aux abois et d’un modèle capitaliste à bout de souffle, a plusieurs objectifs:

  1. Détourner l’attention sur les gestions erratiques des crises par le gouvernement, de la crise sanitaire en premier lieu, mais aussi des crises économiques et sociales gérées de façon extrêmement brutales par ce gouvernement.
  2. Discréditer les recherches sociologiques qui contredisent les positions gouvernementales et par là, s’abstenir de devoir rendre des comptes. Que ce soit dans leurs politiques de stigmatisation, de casse sociale, d’ingérences impérialistes et néocoloniales, et même sur le sujet des profils des terroristes, les études contredisent de façon systématique les discours officiels.
  3. Disqualifier l’extrême-gauche par principe. Derrière l’accusation d’islamo-gauchisme il y a une accusation d’une complicité avec le terrorisme, d’une collaboration avec un ennemi qu’ils inventent de toutes pièces… et par là, ils entendent réduire nos critiques politiques au silence. Il y a là une politique politicienne parfaitement malveillante et qui pense déjà aux futures élections à venir. Ne doutons pas qu’elles seront nauséabondes.
  4. Rompre le nœud gordien qui existe entre les mouvements de gauche et les mouvements de lutte contre les racismes et les discriminations. Et les forces politiques au pouvoir entendent exploiter le lien historiquement faible entre les gauches et la lutte contre l’islamophobie et ainsi les pousser à abandonner ce combat particulier afin de pouvoir orchestrer à loisir leur politique sécuritaire et de ciblage confessionnel.

Il ne faut pas les laisser faire. À la division qu’ils essaient de monter entre nous, et aux défiances qui subsistent, nous devons répondre par une confiance réciproque et par un lien indéfectible. À la dénonciation des nôtres nous nous devons de faire bloc et de refuser les instrumentalisations politiques téléguidées par l’extrême-droite. À leurs inconséquences politiques nous devons répondre par une critique sans faille des politiques menées.

Et il nous faut accepter l’existence sémantique de l’islamophobie comme étant une haine systématique des musulmans et de l’islam, accepter son existence historique comme posture politique qui avec le racisme de la troisième République a permis la domination, l’exploitation et le crime de masse des indigènes nord-africains au temps de la période coloniale. Accepter enfin que l’islamophobie existe encore aujourd’hui, et qu’au travers d’une pseudo-critique religieuse, elle est le cheval de Troie de l’extrême-droite identitaire qui entend bien se débarrasser des musulmans et de l’islam en France.

Ainsi, nous nous devons de soutenir les musulmans de France contre les lois et postures politiques malveillantes menées actuellement.

Les Jeunes Communistes de la Loire expriment leur totale solidarité avec les mouvements de lutte contre l’islamophobie.
Stop à l’islamophobie, oui au retour d’une intelligence politique : on luttera contre la violence dans nos sociétés par plus de cohésion, et non pas par la stigmatisation ou par la division, ni par la multiplication de postures belliqueuses ni par la multiplication de lois liberticides et répressives:

En interne:

  • Luttons de façon effective contre les racismes, les oppressions et les discriminations
  • Luttons de façon effective contre les violences policières
  • Luttons de façon effective contre la précarité

En externe:

  • Luttons contre l’impérialisme / le néo-colonialisme français en Afrique, et au Sahel en particulier
  • Luttons contre les ventes d’armes et de systèmes de surveillance aux dictatures du Proche-Orient
  • Luttons contre le collaborationnisme français à l’occupation, à la colonisation et à l’apartheid israéliens

Ils souillent notre pays par leurs actes et par leurs mots, à nous d’actionner les leviers qui récréeront la fraternité et les promesses d’un avenir meilleur !”

Publié par JC42 dans Non classé

G5 SAHEL, OUTIL DE L’IMPÉRIALISME FRANÇAIS EN AFRIQUE

Ce mercredi 9 Février 2021 s’est ouverte à N’Djamena une nouvelle séance du G5 Sahel. Le G5S est une alliance entre le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad. Son but officiel est d’assurer la sécurité et le développement de ces États.

Cette alliance est un instrument du gouvernement français pour assurer un meilleur contrôle économique, social et politique de la zone. Le G5S a été créé le 16 Février 2014 et son pendant militaire, la Force Conjointe, est de plus en plus indissociable de l’opération Barkhane depuis le début de celle-ci en août 2014. Ainsi les budgets et les opérations menées par le G5S le sont en fonction de ceux de l’opération Barkhane.

Avant la réunion préparatoire des experts du G5 cette semaine, Emmanuel Macron a rencontré individuellement chacun des présidents des différents pays de l’alliance. Il participera d’ailleurs à leurs côtés à la conférence plénière du G5 les 15-16 Février 2021.

Le G5S est un outil diplomatique aux côtés du Franc CFA, des pactes néo-coloniaux secrets, des innombrables bases militaires, pour la bourgeoisie française : malgré l’indépendance gagnée dans les anciennes colonies à partir des années 60, la bourgeoisie et l’État français ont tout fait pour maintenir leur contrôle sur ces pays.

Pour maintenir ses profits, la bourgeoisie française pille les ressources de ses anciennes colonies. Elle y délocalise ses entreprises pour y faire travailler les peuples à des salaires très faibles.

Avec le contrôle monétaire, elle contraint de nombreux pays dans un état de sous-développement industriel, se taillant un monopole d’exportation sur les produits manufacturés. Les pactes coloniaux rompus lors des indépendances sont parfois maintenus en secret, et donnent à l’ancienne métropole le monopole sur les importations de matières premières, achetées en dessous de leur prix réel.

En dehors des combats contre les forces armées en présence dans les différents pays, la présence militaire conjointe du G5S et de la France dans la zone permet un contrôle des populations. Elle sert également d’avant-poste pour l’impérialisme français toujours en recherche de mauvais coups, comme des opérations proches des champs de pétrole algériens. Car la défense des intérêts de la bourgeoisie française passe par la répression des mouvements progressistes et à fortiori des forces communistes.

Au Burkina Faso par exemple l’Organisation Démocratique de la Jeunesse du Burkina Faso – ODJ, qui mène une grande lutte contre l’impérialisme français est régulièrement visée par les militaires locaux et français. Les manifestants sont régulièrement arrêtés, les manifestations interdites et encadrés par l’armée locale et les soldats français. Il y a bientôt deux ans, deux militants de l’organisation ont été assassinés au Sahel et aucune justice n’a encore été rendue sur ces évènements.

Dans un cadre plus quotidien ce sont des soldats français qui patrouillent aux côtés des armées locales dans les marchés, autour des lieux de travail et qui rappellent à chaque citoyen des anciennes colonies du G5S que la France n’a jamais réellement rendu leur indépendance à ces pays.

Les militaires français de l’opération Barkhane se sont déjà illustrés pour avoir perpétré des crimes de guerre, des exactions démenties et couvertes par l’État-major et le gouvernement français. La dernière en date : le 5 janvier, lors d’un raid aérien « anti-terroriste » à Bounti au Mali, deux chasseurs de l’armée française ont craché leurs feux sur un mariage civil provoquant la mort atroce et répugnante de 19 villageois.

La présence terroriste au Sahel est le prétexte invoqué actuellement pour justifier l’occupation militaire française de ces pays. Mais cette présence militaire n’a d’autre objectif que d’assurer l’occupation économique et le pillage en règle des richesses des pays africains par les monopoles français, Areva-Orano, Total, Auchan, Lesieur, Bolloré… Le peuple travailleur du Sahel est pris en étau entre le terrorisme islamiste d’une part et une armée française de facto terroriste de l’autre dans une guerre qui, de plus en plus clairement, s’illustre comme celle de l’impérialisme français. Elle n’est ni la guerre des peuples du Sahel et moins encore celle de la jeunesse française qui forme les rangs des troupes d’occupation : ses pertes s’élèvent déjà à 47 depuis 2013 dans le cadre des opérations extérieures (OPEX) Serval et Barkhane, alors que dans les 20 dernières années c’est près de 300 soldats français qui ont perdu la vie dans les différentes guerres de la France à l’étranger.

Pour masquer la guerre menée par la France contre l’indépendance et la dignité des peuples travailleurs d’Afrique, la présence française est souvent évoquée sous le prisme de « l’aide au développement », de « l’engagement humanitaire », etc. Le G5S comprend lui-même un « Programme d’Investissement Prioritaire », soi-disant parce que les dirigeants du G5S et de l’État français souhaitent développer les pays pour mieux refouler les terroristes.

Cet argument pourrait séduire quand on sait que la misère qui donne un foyer fécond au terrorisme et la criminalité se combat avec du travail et des droits, quand on pense qu’il faut plus de profs et moins de policiers. Mais ce ne sont pas les plans dont nous parlons. Derrière l’aide au développement se cache la nécessité pour la bourgeoisie impérialiste française de créer les infrastructures nécessaires à ses affaires, d’utiliser pour cela l’argent de l’État, arrosant au passage divers obligés et amis dans des appels d’offres où des centaines de millions sont distribués.

Si la France soutient la construction de routes, de lignes électriques, de ports en Afrique, c’est pour convoyer les marchandises des monopoles français, et les alimenter en électricité. Si des écoles sont créées, c’est pour disposer d’une main d’œuvre mieux formée techniquement. Mais pas plus que l’État français n’a jamais lâché de réelle indépendance sans y être forcé par la lutte, il ne donnera pas de droits aux travailleurs d’Afrique sauf s’il y est forcé.

En tant que communistes nous dénonçons le G5S comme un outil de déstabilisation et de répression des populations des pays du Sahel, un outil de destruction des libertés et de la souveraineté des peuples, un outil de l’impérialisme français en Afrique. Nous soutenons toutes les initiatives populaires à l’encontre de manœuvres impérialistes françaises et des gouvernements complices de cette ingérence.

Dans notre pays, nous luttons aussi contre la bourgeoisie française qui nous exploite et qui dégrade chaque jour nos conditions de vie, nous plongeant dans la misère, l’isolement et la peur. Nous continuerons d’organiser la lutte contre l’impérialisme français au sein de la jeunesse populaire française, nous continuerons de dénoncer la responsabilité meurtrière de la bourgeoisie de notre pays.

Florence Parly, ministre des armées, Emmanuel Macron, président de la République, François Lecointre, chef de l’État-major des armées, François-Xavier Le Pelletier de Woillemont, général commandant de l’opération Barkhane sont des criminels de guerre, doivent-être considérés comme tel et jugés en tant que tel !

Plus un seul soldat français hors de France !
Fermeture de toutes les bases militaires françaises à l’étranger !

Jeunes travailleurs, lycéens, apprentis, étudiants de France, ne tombons pas dans les pièges et mensonges de la propagande militariste de la bourgeoisie, unissons-nous à nos camarades d’Afrique pour renverser l’impérialisme !
Pour la révolution et le socialisme, organise ta colère !


Jeunes Communistes Lyon
Jeunes Communistes 13
Jeunes Communistes du Bas-Rhin
Jeunes Communistes de la Loire
Jeunes Communistes Alpes Maritimes
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CONTRE L’ISLAMOPHOBIE – Pour le retour d’une intelligence politique

Islamophobie

En France, depuis 2018, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme définit l’islamophobie comme étant une “attitude d’hostilité systématique envers les musulmans, les personnes perçues comme telles ou envers l’islam” [1]. D’autres organismes français ou européens la définissent également et depuis plus longtemps encore. Le Conseil de l’Europe la définit dès 2005 [2], le Collectif Contre l’Islamophobie en France en fournit une définition à partir de 2011 [3], l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture la caractérise à partir de 2012 [4], et à partir de 2013 l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe la décrit également [5]. Il apparaît ainsi clairement que l’islamophobie, comme hostilité à l’encontre des musulmans et de l’islam, a une existence sémantique incontestable depuis de nombreuses années déjà.

Un regard historique sur l’islamophobie européenne permettrait vraisemblablement d’en dater son apparition au moment même de l’apparition de l’Islam et particulièrement au moment des guerres religieuses qui ont suivi cet avènement. À partir de la période coloniale européenne, cette islamophobie religieuse va muter en une islamophobie savante [6]. Investi d’une œuvre civilisatrice, le colonisateur européen se devait de valoriser la civilisation européenne, d’essence chrétienne, et d’amoindrir les civilisations africaines ou proche-orientales, d’essence musulmane. C’est ainsi que l’Islam a été considéré comme une religion « inférieure » pour individus « inférieurs », apportant ainsi la touche finale aux racismes et aux racialismes de l’époque, les deux autres outils développés pour justifier la domination ethnique européenne. Des études « savantes » du coran ont ainsi été mobilisées pour altériser les musulmans : les transformer en cet autre différent, menaçant et récalcitrant à la civilisation européenne ; et pour expliciter l’infériorité supposée de l’indigène : « infériorité intellectuelle », « bestialité », « mœurs débridées », « violence ». Il faut bien comprendre que cette lecture tronquée et décontextualisée du coran servait les intérêts impérialistes de l’époque, ceux de la domination coloniale, et venait compléter d’autres formes de déshumanisations, à l’instar du racisme biologique comme avec le primitivisme du professeur Porot [7]. Bien sûr, les éléments critiques de ces pseudo-sciences étaient à l’époque systématiquement mis de côté.

En dépit de cette existence sémantique et de son existence historique, on assiste à une coexistence assez surréaliste entre les personnes qui estiment que l’islamophobie n’existe pas, que l’islamophobie est une invention des islamistes, ou encore qu’il est parfaitement normal d’être islamophobe. Cette coexistence de postures ne peut se comprendre que si l’islamophobie est perçue comme la critique du fait religieux, de l’Islam donc, et se refuse à prendre en compte les définitions établies de l’islamophobie. Un refus qui prend sa source dans plusieurs négations. 1) Négation des discriminations spécifiquement subies par les musulmans : l’existence des discriminations est pourtant nécessairement consécutive à des conceptions négatives sur les musulmans. 2) Négation du racisme : sous prétexte que les musulmans ne forment pas une race, les conceptions négatives qui les touchent en tant que catégorie sociale ne sauraient exister. 3) Négation du fait que la critique de l’Islam peut masquer un racisme : établir que la violence chez les musulmans s’expliquerait par les passages violents du coran revient à les essentialiser, c’est-à-dire à ôter leur humanité en les réduisant à leur musulmanité, les considérant alors comme incapables de distanciation par rapport aux passages violents des textes religieux. Cette assignation touche spécifiquement les musulmans et épargne les croyants des autres religions monothéistes dont les livres saints sont tout aussi violents. 4) Négation des postures de l’extrême-droite : cette dernière constitue l’Islam comme un problème et souhaite une Europe débarrassée des étrangers et des français musulmans. Elle aussi se base sur la critique du fait religieux et pour poser son diagnostic et comme cheval de Troie pour contaminer société et partis politiques. Preuve que la critique du fait religieux est loin d’être aussi anodine qu’il n’y paraît et qu’elle peut-être mobilisée pour produire une essentialisation des musulmans et des conceptions négatives sur eux.

Analyse religieuse versus analyse politique

La permanence de ce déni peut s’expliquer par plusieurs éléments différents. Premièrement, par un anti-cléricalisme historique issu de la Révolution française et qui pousse à un aveuglement sur la question de l’Islam et sur la violence des préjugés négatifs qui accablent les musulmans. Deuxièmement, on trouve une mutation des racismes traditionnels (politiquement inacceptables [8]) en pseudo-critiques religieuses (politiquement acceptables). Cette mutation vise les mêmes personnes et possède les attributs du racisme : catégorisation, essentialisation, hiérarchisation. Troisièmement, dans un contexte de crise politique, on trouve aussi un détournement de l’opinion publique sur des logiques sécuritaires, la figure du musulman problématique (politiquement consensuelle) est alors mobilisée pour détourner l’attention de l’opinion des mauvaises gestions des crises. Quatrièmement, et donnant corps à la thèse controversée de Huntington sur le choc des civilisations, depuis de nombreuses années se dessine une opposition frontale de l’occident vis-à-vis de l’orient et qui passe par la constitution du musulman comme ennemi à un niveau international, permettant ainsi différentes guerres et ingérences impérialistes (Irak, Syrie, Afghanistan, Palestine etc). Cinquièmement, par le fait que, plusieurs fois endeuillée par des attaques terroristes perpétrées par des musulmans et aux cris de Allahou Akbar, la France est meurtrie et cherche à donner du sens à ces attaques. Le problème étant qu’aucune analyse politique ne parvient à s’imposer dans un champ médiatique saturé d’analyses religieuses constituant l’Islam comme un problème, et établissant que la France est attaquée pour ses valeurs, qu’elles soient républicaines, de laïcité ou de liberté d’expression, autrement dit, pour ce qu’elle est.

Dans ce contexte, l’analyse religieuse s’impose et exclut même violemment toutes tentatives d’analyses politiques, perçues comme des justifications du terrorisme, et donc comme des menaces graves. C’est ainsi que la lutte contre les conceptions négatives sur les musulmans et contre les discriminations qu’ils subissent se trouve violemment attaquée. Il est cependant crucial de mener cette analyse politique. Dans une tribune du Nouvel Observateur, les universitaires Egger et Magni-Berton font l’état de l’art universitaire sur le lien entre politiques d’État et terrorisme. Ils expliquent que la majorité des études mettent en évidence que les pays ciblés par le terrorisme le sont pour ce qu’ils font et non pour ce qu’ils sont [9]. En clair, deux éléments ressortent de ces études et analyses statistiques et permettent d’expliquer pourquoi certains pays sont particulièrement touchés: 1) les politiques étrangères menées, en particulier lorsqu’elles secondent les politiques étrangères des États-Unis ; 2) les politiques domestiques, en particulier lorsqu’elles stigmatisent les musulmans et laissent des situations violentes et discriminatoires perdurer. Cette position vient d’être reprise par une quarantaine de spécialistes sur le sujet et qui soutiennent la thèse du pompier-pyromane : les guerres contre le terrorisme aggravent tous les problèmes [10]. Cette approche phénoménologique se doit d’être complétée par une analyse critique des politiques françaises, afin de permettre une interprétation matérialiste de l’émergence de ces violences.

Critique des politiques étrangères françaises

Il serait difficile de mener une critique exhaustive des politiques étrangères françaises, il ne sera donc fait ici que la critique de quelques grands axes. La France est aujourd’hui impliquée militairement dans plus d’une dizaine de pays d’Afrique et du Proche-Orient [11].

Officiellement invitée par les dirigeants des pays du Sahel et œuvrant pour la stabilité, la paix et la lutte contre le terrorisme, la présence militaire française est surtout là-bas pour défendre les intérêts économiques et stratégiques de la France. Il s’agit de préserver l’accès à des ressources de haute importance, de faciliter le maintien et l’implantation des grands groupes économiques français, et cyniquement, de permettre la valorisation à l’exportation du matériel militaire « made in France » : testé et approuvé sur le terrain. La présence française dans ce qui furent des anciennes colonies apparaît comme un néocolonialisme qui, en maintenant un certain ordre et une mainmise sur les ressources, maintient tant les inégalités économiques, que les pouvoirs corrompus et les violations des droits humains par ces mêmes pouvoirs [12]. Se faisant, elle empêche les oppositions et les évolutions sociétales et en tant que force étrangère elle produit une fracturation des sociétés en induisant une polarisation entre résistants et collabos : un terreau sur lequel croît très facilement la haine, la violence et en dernière instance les radicalisations.

Au Proche-Orient, la politique française est désormais alignée sur la politique des États-Unis, un alignement problématique si on considère la virulence de l’impérialisme états-unien et les incessantes ingérences de ces derniers dans la région. À ce sujet, il est central de rappeler que la seconde guerre d’Irak a été justifiée par le mensonge au sujet des armes de destruction massive [13]. Un mensonge qui fit entre cent mille et un million de victimes civiles et dont les auteurs n’ont jamais été punis. Ce mensonge a aussi déstabilisé toute cette région, ouvrant un boulevard à l’établissement de l’État islamique qui a lui-même signé le début d’une nouvelle guerre. Difficile de mieux démontrer l’effet contre-productif et absurde de cette guerre et plus généralement des guerres contre le terrorisme [14]. Notons qu’à cette époque la France s’était opposée à cette intervention militaire, preuve étant qu’elle était alors capable d’audace et d’indépendance. Aujourd’hui impliquée dans la guerre contre daesh, la France est militairement présente en Irak et en Syrie.

Concernant les volets économiques et diplomatiques dans cette région du monde, on peut évoquer des interactions problématiques avec au moins trois États. L’Arabie Saoudite est ainsi régulièrement sur le podium des plus gros importateurs d’armes françaises. On parle d’une dictature monarchique, tristement célèbre pour ses assassinats de journalistes, qui bafoue à peu près tous les droits humains [15], et qui est à la tête d’une coalition accusée de crimes de guerre au Yémen [16]. Bien qu’aujourd’hui la France semble en dehors du jeu militaire Égyptien, il apparaît qu’elle a étroitement contribué à la stabilisation de la dictature naissante du général Al-Sissi sur la période 2007-2016. En livrant armes et systèmes de surveillance, elle a contribué à briser toute opposition et a participé ainsi à la répression sanglante des opposants [17]. La collaboration avec Israël est également à relever, ce alors que ce pays colonise depuis toujours, bafoue le droit international depuis des décennies, et est formellement accusé d’apartheid depuis 2017 [18]. Une position qui s’accompagne à la fois d’une certaine fascination pour le modèle répressif israélien [19], et par la recherche constante de la condamnation des mouvements de solidarités avec la Palestine, BDS notamment [20].

Ces collaborations militaires et/ou diplomatiques avec des régimes d’apartheid ou dictatoriaux sont non-seulement contraires aux valeurs que la France se complaît à revendiquer, mais surtout elles mettent directement en danger des populations et des oppositions. Comme au Sahel, elle bloque les évolutions sociétales, et comme au Sahel elle produit du ressentiment à l’encontre des français et constitue ainsi un terrain propice au développement d’une radicalisation islamiste violente. Sur le territoire français, toutes ces politiques produisent une perte de confiance dans les valeurs françaises qui peuvent avoir un effet dramatique sur des jeunes en manque de repères.

Critique des politiques intérieures françaises

Sur la scène politique intérieure, il faut mettre le doigt sur tous les non-dits d’une République qui n’a pas tenu ses promesses.

Tout d’abord, il faut dénoncer la ghettoïsation des populations d’origines étrangères, africaines et maghrébines en particulier, car elle alimente les fantasmes de communautarisme et de séparatisme. Les concentrations ethniques et religieuses qui résultent de ce phénomène ne sont pas choisies par les populations qui y vivent, elles sont subies et résultent de la précarité économique qui touche les personnes concernées et qui les relèguent dans les quartiers populaires. On parle d’un prolétariat ethnique, voire d’un sous-prolétariat ethnique, surexposé aux politiques de casse sociale, aux discriminations et au chômage [21], ainsi qu’aux violences en tout genre qui émergent spontanément dans les conditions socio-économiques propres au sous-prolétariat [22]. Ce positionnement économique est particulièrement injuste puisqu’il est le produit des systèmes de discriminations raciales établis par les européens au moment de la période coloniale. Cette filiation historique a son importance, car elle conditionne encore aujourd’hui une gestion coloniale des banlieues françaises. Une gestion qui rejette par principe les origines sociales et raciales de la violence urbaine, et qui est implicitement basée sur le principe d’une population considérée comme « incompatible avec la civilisation » et ne pouvant donc être « domptée » que par la force, ce qui la surexpose depuis longtemps aux violences policières [23, 24]. Notons au passage la persistance dans le temps de désignations problématiques telles que « descendant de deuxième ou troisième génération » qui suggèrent un perpétuel défaut d’appartenance à la France chez les jeunes issus de l’immigration maghrébine ou africaine.

Ensuite, il est essentiel d’évoquer les discriminations et violences subies de façon spécifique par les musulmans français. Traduction du peu d’intérêt politique pour ce sujet, les données sont peu nombreuses. Le Collectif Contre l’Islamophobie en France, organisme qui s’était créé dans le but de lutter contre ces discriminations en s’appuyant sur le droit français et qui avait entrepris un travail de recensement des actes islamophobes, est désormais honni et dissous. C’est à la fois un délit d’opinion, un abus de pouvoir, un acte en dehors de l’État de droit, et une faute politique d’une extrême gravité. Notons son dernier rapport de 2019 sur le sujet qui indiquait une hausse de 50 % des actes islamophobes recensés entre 2017 et 2018, portant leur nombre à plus de 600 [25]. Ce chiffre, qui peut paraître faible, est en réalité très sous-estimé, les victimes étant dans une situation de défiance des institutions perçues comme non-protectrices, inutiles voire hostiles, ne se signalent pas dans l’écrasante majorité des cas. Parmi les violences commises à l’encontre des musulmans il faut relever des mosquées brûlées, des agressions verbales et physiques visant les musulmans et en particulier les musulmanes. Quelques études apportent un éclairage sur les discriminations subies par ces derniers. Une enquête menée en 2015 montrait que 40 % des musulmans d’Île-de-France interrogés rapportent avoir vécu une discrimination religieuse au cours des 5 dernières années [26]. Des méthodes par testing sur la base de CV ont montré la dévalorisation systématique du candidat musulman : entre 2,5 et 4 fois moins de chance d’obtenir un entretien d’embauche qu’un candidat non-musulman [27, 28]. Conséquences de ces discriminations à l’embauche, ces mêmes enquêtes mettent aussi en évidence un revenu mensuel inférieur de 400€ en moyenne chez les ménages musulmans en comparaison avec les ménages chrétiens [27].

Enfin, ces discriminations et violences subies spécifiquement par les musulmans succèdent nécessairement à des conceptions négatives plus ou moins diffuses dans la société, ce qu’il convient donc d’appeler une islamophobie. Cette dernière se trouve illustrée par la permanence des polémiques politico-médiatiques sur l’habillement des musulmans, mais aussi sur leur alimentation. Rappelons que la laïcité n’est censée garantir que la neutralité religieuse de l’État, pas celle des espaces publics ni celle des usagers des services publics. Une lecture non-instrumentale de cette dernière devrait donc s’opposer à de telles polémiques et garantir aux musulmans les droits fondamentaux qui sont les leurs dans l’espace public, sans qu’ils n’aient à souffrir de discours stigmatisants et dégradants. La défense obstinée des caricatures du prophète en est un second exemple. Le prophète est la figure type du musulman, en plus d’un guide religieux et spirituel intemporel. Sa représentation sous forme de personnage aux airs tantôt abrutis, tantôt colériques, dans des postures bestiales, ou affublée d’ornements menaçants est un avilissement qui fait référence aux clichés raciaux et islamophobes de la période coloniale [29]. Nier les processus d’identification des musulmans à leur prophète et faire de ces conceptions négatives des musulmans une ligne de front de la liberté d’expression, de la critique religieuse, du blasphème, voire un instrument pédagogique est nécessairement problématique. Notons également, pour terminer, les grandes différences de traitement politico-médiatique des actes terroristes suivant qu’ils sont le fait de musulmans ou de non-musulmans. Le double meurtre de Cholet du 14 novembre dernier et perpétré par un chrétien “guidé par Dieu”, a ainsi eu un écho médiatique mineur. Les explications sociologiques ont été avancées pour expliquer ce passage à l’acte et l’état mental instable de son auteur a été rapidement suggéré [30]. Au contraire du non-musulman, le musulman ne saurait souffrir de troubles psychologiques, est nécessairement animé d’un projet politique d’islamisation de la société et cristallise une attention médiatique extraordinaire. Les conceptions négatives sur les musulmans battent alors leur plein et occultent l’influence d’un environnement social délétère et les profils particuliers des terroristes: délinquance, déculturation, velléités suicidaires, addictions [31].

La politique économique libérale qui est menée depuis des décennies, en produisant casse sociale et précarisation, l’aveuglement des pouvoirs successifs sur les racismes, les discriminations et les violences policières, le mépris pour les classes populaires et l’indifférence crasse à la relégation des minorités ethniques et religieuses dans les cités ont alimenté de grandes défiances vis-à-vis et du pouvoir politique. En désignant les victimes de ces politiques médiocres comme des séparatistes et des ennemis de la République, le pouvoir ajoute l’injure à des décennies d’incompétence et ne fait qu’alimenter ressentiment et division, sans apporter une quelconque réponse politique à la hauteur des enjeux. Ce faisant, et comme avec ses politiques étrangères, le pouvoir produit un terreau propice aux radicalisations qui lui aussi favorise le développement d’un islamisme violent.

Conclusion

Dans cet article nous avons rappelé l’existence de l’islamophobie, à la fois sémantique, historique, et son expression moderne. Une expression faite de discriminations et de violences contre les musulmans, mais aussi faite de conceptions négatives maintenues ou développées à partir d’une lecture essentialisante des textes religieux et qui trouve son origine dans l’islamophobie « savante » de l’époque coloniale. S’appuyant sur une lecture biaisée du coran, ces conceptions négatives et les discriminations et violences qui en découlent méritent amplement la qualification d’islamophobes, terme qui doit donc être utilisé pour rendre compte de ce phénomène.

Le terme islamophobie est très critiqué en France parce qu’il sous-entendrait l’impossibilité d’une critique religieuse rendue impérieuse par les violences terroristes contemporaines. Cependant, deux grilles d’analyse tentent de rendre compte de ces violences, la grille d’analyse religieuse et la grille d’analyse politique. Somme toute, la grille d’analyse religieuse considère que l’islamisme est le problème, elle repousse toute analyse politique. Une telle analyse constitue l’autre comme un ennemi et n’engendrera que des lois liberticides, répressives et de surveillance des masses. Elle produira aussi vraisemblablement de nouvelles guerres et ne mettra en aucune façon fin aux violences. Au contraire, la grille d’analyse politique, validée par les savoirs universitaires, prend en compte les conséquences des errances politiques françaises, qu’elles soient internes ou externes. Elle permet de rendre compte de l’émergence des phénomènes violents qui traversent notre société et le monde entier, et permettrait ainsi d’y apporter des réponses politiques pertinentes: luttes anti-impérialistes, luttes contre les guerres occidentales, luttes contre les racismes et discriminations, islamophobie inclue, luttes contre les politiques de casse sociale, luttes contre les violences policières. Il est urgent de substituer la première grille par la seconde afin de sortir du cercle vicieux violent qui empoisonne les relations ethniques et religieuses sur notre territoire et entre l’orient et l’occident à un niveau international.

Plus spécifiquement, et considérant que l’Islam est la religion d’une partie importante du prolétariat, les attaques islamophobes doivent être considérées comme étant de même nature que les attaques racistes: 1) un mépris de classe de la bourgeoisie pour la classe ouvrière; 2) une stratégie délibérée de la bourgeoisie visant à diviser le prolétariat sur des phénomènes sociétaux qui ne les opposent pas dans leurs conditions matérielles; 3) une hypocrisie patente de la bourgeoisie qui se caractérise par la collaboration avec des régimes islamistes dès lors qu’ils servent leurs intérêts. De ce point de vue, l’appel au prolétariat à ne pas céder aux divisions islamophobes est déterminant pour les luttes à venir. Et alors qu’ils sont attaqués, les prolétaires musulmans doivent pouvoir compter sur notre solidarité de classe, entière et inconditionnelle. Ainsi, les Jeunes Communistes de la Loire appellent à se mobiliser et contre les politiques impérialistes françaises et contre la précarisation des individus, contre les racismes, islamophobie inclue, et contre les violences policières, c’est-à-dire à la fois contre le capitalisme et ses outils de division et de répression habituels.


Sources:
[3] L’association étant désormais dissoute, il n’y a plus de liens vers cette ressource
[6] Olivier Le Cour Grandmaison, « « Ennemis mortels » – Représentations de l’Islam et politiques musulmanes en France à l’époque coloniale » »
[8] Ces dernières années on observe cependant un retour de propos racistes, notamment en raison de la promotion par l’extrême-droite d’une parole médiatique outrancière et qui s’inscrit dans une logique de dédiabolisation du Rassemblement National (plus d’infos ici).
[26] Patrick Simon et Liza Rives, « Religion et discrimination », Homme & Migrations, vol. 1, n° 1324, p. 8-9 (2019)
[27] Claire Adida, David Laitin et Marie-Anne Valfort, « Les Français musulmans sont-ils discriminés dans leur propre pays ? Une étude expérimentale sur le marché du travail », Presses de Sciences Po, Paris, (2010)
[28] Marie-Anne Valfort, « Discriminations religieuses à l’embauche : une réalité », Institut Montaigne, Paris (2005)

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Il y a 40 ans: la fin de la première grève de la faim

Ce 18 décembre, nous nous souvenons particulièrement de sept hommes et trois femmes, tous prisonniers politiques, qui se sont lancés dans un bras de fer contre Margaret Thatcher, alors Première Ministre britannique. Derrière ces prisonniers politiques se trouvent principalement trois organisations : la PIRA (Armée Républicaine Irlandaise Provisoire), l’INLA (Armée Irlandaise de Libération Nationale) et le Cumann na mBan (le Conseil des Femmes) dont l’objectif est de voir la réunification de l’Irlande. En effet, depuis 1921, l’île est scindée en deux : le Sud est devenu une République totalement indépendante en 1949 après avoir été un dominion alors que six des neuf comtés de la Province d’Ulster restent entièrement avec le Royaume-Uni (ceci est toujours vrai à ce jour, ces six comtés occupés formant ce qui est appelé l’Irlande du Nord ou le Nord de l’Irlande selon le côté des barricades qui est choisi).

L’évènement dont nous parlons aujourd’hui s’est déroulé durant les Troubles, ce conflit au nom euphémique, qui désigne la période de 1969 à 1998 dans les Îles Britanniques, et plus particulièrement dans les six comtés occupés d’Irlande. L’euphémisme réside ici dans le fait que plus de 3700 personnes (dont plus de 2000 civils) ont été tuées en lien direct avec le conflit. Cette période a été marquée par de nombreux évènements, les plus marquants étant l’introduction de l’Internment en 1971 (condamnations à la prison sans procès), le Bloody Sunday en 1972 (quatorze civils tués par l’armée britannique à Derry lors d’une marche pacifiste), ou encore la Grève de la Faim de 1981 (23 prisonniers républicains s’engagent, dix en meurent).

Mais cette Grève de la Faim a en réalité été l’aboutissement d’une longue lutte des prisonniers républicains dans les prisons britanniques. En juillet 1972, à la suite d’une Grève de la Faim, William Whitelaw (Secrétaire d’État pour l’Irlande du Nord) accorde le Special Category Status à tous les prisonniers politiques. Pourtant, les quelques avantages apportés par ce statut prendront fin le 1er Mars 1976 avec le nouveau Secrétaire d’État pour l’Irlande du Nord, Merlyn Rees, dans l’idée de criminaliser les luttes nationalistes. Les prisonniers politiques sont alors traités comme des prisonniers de droit commun : ils doivent porter l’uniforme de la prison et effectuer du travail pénitentiaire. C’est ainsi que commence la Prison Dispute. Entre 1976 et 1977, six gardiens de prison sont tués. En septembre 1976, le Volontaire de l’IRA Kieran Nugent est condamné à trois ans dans la prison de Long Kesh (aussi connue sous le nom de H-Blocks). A son arrivée, il aurait dit que si les matons voulaient qu’il porte l’uniforme de la prison, ils devraient « le clouer » à son dos. C’est par ce geste que commence la Grève des Couvertures (Blanket Protest) : Nugent n’ayant eu d’autre choix que de s’enrouler dans sa couverture. À la fin de 1976, environ 40 de ses Camarades l’avaient suivi dans ce geste, se rendant compte que la seule arme dont ils disposaient en prison était leur corps. Cette action n’a pas été partagée par les prisonnières républicaines (incarcérées, elles, à Armagh) car elles n’avaient pas perdu le droit de porter leurs propres vêtements.

La lutte spécifique aux prisonniers politiques républicains a pris une nouvelle ampleur en mars 1978, les prisonniers étant régulièrement victimes d’attaques de la part du personnel de la prison quand ils sortaient de leurs cellules pour se rendre à la douche. Ils décidèrent alors d’arrêter de se laver, sauf si des douches étaient installées dans chaque cellule. C’est alors qu’a commencé la Grève de l’Hygiène (Dirty Protest) : en plus de ne plus se doucher, les républicains arrêtèrent également de vider leurs pots de chambre et étalaient leurs excréments sur les parois de leurs cellules. À Armagh, les prisonnières rejoignent pleinement cette grève en février 1980 après une émeute lors d’un repas quand elles ont remarqué la présence renforcée de gardes pendant que les cellules étaient fouillées. Il est estimé que mi-1978, 250 prisonniers de Long Kesh avaient rejoint la Grève de la Couverture et celle de l’Hygiène.

Voyant que leurs revendications n’aboutissaient pas, la fin de l’année 1980 a été synonyme d’une nouvelle étape dans la bataille contre l’administration de Margaret Thatcher (élue en mai 1979) : la Grève de la Faim. Sept prisonniers bravèrent alors l’opposition de la direction de l’IRA et arrêtèrent de s’alimenter le 27 octobre 1980. L’IRA comptait six volontaires : Brendan Hughes, Tommy McKearney, Raymond McCartney, Tom McFeeley, Sean McKenna, Leo Green, et l’INLA (organisation marxiste) un, John Nixon. Le nombre de sept avaient été choisi pour rendre hommage aux sept signataires de la Proclamation de la République d’Irlande en 1916 (c.f. Insurrection de Pâques). Dans la prison d’Armagh, trois républicaines commencèrent la Grève de la Faim le 1er décembre, Mairéad Farrell, Mairéad Nugent et Mary Doyle.

Le symbolisme de cette forme d’action était très fort et a permis aux Républicains Irlandais de rassembler. Tout d’abord dans la prison puisqu’il y a eu un appel à soutenir au mieux les Camarades grévistes : le jour où la Grève a commencé, 200 prisonniers qui se conformaient jusqu’alors encore aux règles de la prison ont rejoint les Grèves des Couvertures et de l’Hygiène. En dehors des murs des prisons, l’écho s’est fait également avec de nombreuses actions, de plus, cette Grève de la Faim a également eu un fort impact puisqu’elle était largement médiatisée.

La propagande républicaine s’organisait autour de cinq demandes : le droit de ne pas porter l’uniforme de prisonnier, le droit de ne pas participer aux travaux pénitentiaires, le droit de libre association et de mise en place d’activités éducatives ou récréatives, le droit à une visite, une lettre et un colis par semaine et enfin, l’entière restauration de la remise de peine qui avait été perdue lors des protestations. Pour résumer, il était question de reconquérir le statut de prisonniers politiques.

Cette action s’est terminée après 53 jours.

Le 18 décembre, Brendan Hughes avait été informé qu’un accord était en route et en avait conclu que leurs demandes avaient été acceptées. Il a alors dû faire face à un dilemme : pouvait-il faire confiance au gouvernement britannique et mettre fin à la Grève ? L’un des grévistes étaient alors dans un état très critique et c’est ce qui a mené Hughes à arrêter cette action. Malheureusement (et sans surprise), aucune demande n’avait en réalité été acceptée et cette perte de temps et d’énergie a entraîné une colère encore plus grande, qui mènera à la Grève de la Faim de 1981, durant laquelle dix hommes perdirent la vie face à l’intransigeance de la Dame de Fer.

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Puissances impérialistes aux petits soins de l’État d’apartheid israélien – Non à l’instrumentalisation du Tour de France

Gaza, a subi son dixième jour de bombardement. C’est justifié entend-on répéter partout la propagande israélienne. « Ils n’avaient qu’à pas lancer une roquette. Ils n’avaient qu’à pas lancer des ballons incendiaires. C’est la faute aux terroristes islamistes du Hamas ». Terroristes & islamistes, deux jokers lancés à la face du monde occidental, qui permettent d’activer des imaginaires menaçants, d’endormir les consciences occidentales sur la nature colonialiste et territoriale du conflit, de justifier la disproportion des moyens militaires employés et l’énième répression exercée à l’encontre des Gazaouis. Comme si ce processus relevant de la punition et de l’humiliation collective avait un jour fonctionné. Gaza, 13 ans de blocus israélien, des conditions proches de l’invivable. Gaza, à la fois synonyme de l’enfermement des Palestiniens sur leurs propres terres, synonyme de ce que l’on peut trouver de plus violent dans une entreprise coloniale, synonyme de la brutalité de l’apartheid israélien et synonyme de l’injuste, seul territoire sur cette planète interdit de se révolter et de se défendre ?

Rappelons-nous les mots de Dom Helder Camara : « Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’hommes, de femmes et d’enfants dans ses rouages silencieux et bien huilés. La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première. La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres. Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. » L’oppression et les violences institutionnelles israéliennes déclenchent les violences révolutionnaires palestiniennes, qui se voient violemment réprimées en retour. L’hypocrisie, la lâcheté et le racisme post-colonial occidental fait semblant de ne rien voir et de ne rien comprendre à la lutte d’un peuple à l’agonie et réduit à des actes de résistance désespérés.

La réponse de l’Occident dans cette situation ? Des condamnations molles en général, pour la forme et faire vite comme si de rien n’était, et le silence radio en ce qui concerne les bombardements de ces derniers jours. Un silence qui vaut complicité. Une complicité de longue date en réalité, l’Europe s’étant corrompue depuis longtemps dans diverses coopérations économiques avec Israël et n’ayant jamais imposé aucune sanction à l’État sioniste, ce en dépit de la violation systématique et chronique du droit international, et des violations graves et répétées des droits humains des Palestiniens. Pour les États-Unis, c’est une coopération économique, diplomatique et militaire qui est à l’œuvre depuis des décennies, Israël constituant un bras armé des États-Unis au Moyen-Orient où leurs intérêts sont nombreux. Mais ces derniers jours, et alors que Gaza est une nouvelle fois sous les bombes, cette complicité des vieilles et jeunes puissances impérialistes dans le crime contre les Palestiniens s’est faite plus éloquente que jamais.

La diplomatie états-unienne, au service de la normalisation d’Israël, et jouant du bâton et de la carotte, vient de pousser les dirigeants des Émirats arabes unis à signer un accord de paix. Coup de bluff en réalité, pour un État qui n’était pas en guerre, double trahison et gros mensonge. Une trahison des Palestiniens évidemment, mais aussi une trahison de plus des dirigeants arabes vis-à-vis de leurs peuples qui soutiennent les Palestiniens. Et un mensonge sur le soi-disant gel du projet d’annexion des territoires cisjordaniens. Cette dernière étant déjà factuelle par la présence de plus de 600 000 colons israéliens qui résident en Cisjordanie, quant à l’annexion de jure, elle n’est que repoussée. En Allemagne, c’est une coopération militaire qui a été organisée le 28 août dernier, baptisée “Blue wings 2020”, elle a vu des avions de chasse allemands et israéliens participer à des exercices conjoints. En France, les pouvoirs publics ne voient aucun problème a laissé le Tour de France se faire instrumentaliser par Israël.

En effet, du 29 août au 20 septembre prochain, L’équipe Israël Start-up Nation participera au Tour de France 2020. Le milliardaire canadien Sylvan Adams, financeur de l’équipe et instigateur de sa participation au tour se revendique fièrement « ambassadeur autoproclamé de l’État d’Israël ». Le milliardaire était déjà l’instigateur du départ du Giro d’Italie à Jérusalem en 2018, et il assure également la présence d’Israël en Formule 1. Sans surprise, ce capitaliste s’accommode très bien des oppressions et des exactions d’Israël. Placardé sur les véhicules et les divers objets publicitaires de l’équipe, le « Start-up Nation » permet d’activer un imaginaire progressiste, moderne et dynamique chez les occidentaux. Il est accompagné du slogan « Tel Aviv Jerusalem » aux couleurs gay friendly, qui, de son coté, active un imaginaire de progressisme sociétal de la société israélienne. Ainsi, le Tour de France, patrimoine sportif français, se laisse donc totalement instrumentaliser par une propagande nationaliste visant à redorer l’image d’un pays et à faire passer en arrière plan les graves crimes dont il se rend responsable. Et les pouvoirs publics ne trouvent rien à y redire. Inimaginable alors même que Gaza est sous les bombes !

Cette instrumentalisation aussi grossière que grotesque est tombée dans le collimateur du mouvement BDS qui a initié une campagne contre la participation de l’équipe israélienne. Certains médias, vecteurs de la propagande israélienne, ont alors cherché à faire passer les membres de BDS pour des antisémites, en réduisant ce terme à la critique de leur nationalisme béat et niaisant en feignant de ne pas voir l’instrumentalisation du Tour de France. Nous condamnons ces tartuffes qui instrumentalisent l’antisémitisme et se font les vrais complices des crimes commis à l’encontre des Palestiniens. Les Jeunes Communistes de la Loire dénoncent le collaborationnisme des puissances impérialistes avec Israël, expriment leur solidarité avec le peuple palestinien, avec la résistance palestinienne et se joignent à la campagne BDS contre cette instrumentalisation du Tour. La colonisation de remplacement ethnique des Palestiniens, l’apartheid, sont des crimes que nous ne laisserons pas passer.

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RÉOUVERTURE DES ÉCOLES A PARTIR DU 11 MAI : MESURE AU PROFIT DES ÉLÈVES OU AU SERVICE DU CAPITAL ?

Dans son allocation télévisée du 13 avril, Emmanuel Macron a annoncé pour le 11 mai prochain la réouverture progressive des crèches, écoles, collèges et lycées, sans en détailler les conditions ou les garanties pour la sécurité et la santé des élèves et des personnels de l’Éducation nationale. Les universités quant à elles ne rouvriraient pas avant l’été.

Pour justifier cette mesure, Macron utilise notamment l’argument de l’inégalité des élèves face à la pratique de l’école à distance. Cette inégalité est bien réelle mais l’argument est hypocrite lorsqu’il est utilisé par le représentant d’un gouvernement qui diminue les moyens financiers de l’Éducation nationale, laisse fermer des classes et des écoles, supprime des postes, précarise toujours plus les personnels, et promeut des réformes qui détruisent le cadre national des diplômes.

Dans le même temps, le président a annoncé que les «lieux rassemblant du public», restaurants, cafés, cinémas, etc. resteraient quant à eux fermés jusqu’à nouvel ordre, et que les grands événements, tels que les festivals, pourraient reprendre seulement à la mi-juillet.

Le président a aussi annoncé que des tests pourraient être proposés, mais uniquement pour les personnes présentant des symptômes du Covid-19.

Enfin le président a insisté une nouvelle fois sur la reprise du travail dans les industries, commerces et services du pays.
Nous sommes aujourd’hui très inquiets par ces annonces qui sont comme d’habitude très floues et pleines de contradictions, mais qui privilégient encore une fois les activités économiques au détriment de la santé de la population.

Nous avons néanmoins des raisons de l’être.
Nous savons aujourd’hui grâce aux scientifiques qu’environ 80% des personnes contaminées au coronavirus présentent une forme bénigne de la maladie, ou ne présentent pas du tout de symptômes.

Nous savons également que sans tests nécessaires fournis à l’ensemble de la population, ces personnes sans symptômes, dites «porteurs sains» ou «porteurs asymptomatiques» ont été jusque là à l’origine de la plupart des cas de contamination, et que les enfants rentrent tout particulièrement dans cette catégorie.

C’est pour ces raisons que les écoles avaient été parmi les premières structures publiques à fermer dans le pays, considérées à juste titre comme des lieux de haute transmission du virus.

Comment imaginer que les personnels et élèves pourraient ainsi reprendre le chemin des écoles le 11 mai prochain, sans avoir été massivement testés sérologiquement au préalable ?

Comment imaginer aussi que toutes les normes sanitaires pourraient être vraiment respectées, comme la distanciation sociale, dans des établissements accueillant plusieurs centaines voire milliers de personnes, dans des classes à souvent plus de 30 élèves, dans les cours de récréation, dans les cantines, dans les internats, dans les transports scolaires, etc, la plupart du temps dans des conditions ou des locaux qui ne peuvent pas s’y prêter.

Dans le département de la Loire, par exemple, au lycée François Mauriac à Andrézieux-Bouthéon, aux lycées Honoré d’Urfé et Claude Fauriel à Saint-Étienne, au lycée Beauregard et au Collège Mario Meunier à Montbrison, ce sont chaque jour plus de 1000 personnes qui circulent dans les mêmes locaux !

Les personnels de l’éducation le savent bien, il serait également extrêmement difficile de faire respecter l’ensemble des consignes sanitaires et des gestes barrières à l’ensemble des élèves, en particulier aux plus jeunes d’entre eux, dans les crèches ou écoles maternelles.
La reprise des cours dans ces conditions pourrait donc contribuer à de nouveaux cas de contaminations et à une deuxième vague épidémique dans le pays.

Si l’on tient compte de la situation chinoise, en particulier à Wuhan, les écoles ont d’ailleurs été les dernières structures publiques à rouvrir. Le Docteur Philippe Klein, directeur de l’hôpital international de Wuhan, a notamment déclaré hier à la presse : «Les écoles, c’est toujours ce qu’on rouvre en dernier, parce que c’est ce qu’on doit fermer en premier.»
Jusqu’ici, le gouvernement a été incapable de gérer cette crise sanitaire et a constamment privilégié les bénéfices des entreprises au détriment des services publics et de la santé de la population, en faisant des cadeaux aux patronat, en maintenant des installations et activités non essentielles aux besoins vitaux, en détricotant les droits des travailleurs et en multipliant les injonctions à retourner au travail, notamment par la voix de la Ministre du Travail, et sous le haut patronage du MEDEF et de la bourgeoisie.

Nous avons donc aujourd’hui de bonnes raisons de croire que cette réouverture programmée des écoles n’est qu’une nouvelle étape dans cette même logique, pour cette fois-ci sommer aux pères et mères de famille, s’occupant jusque-là de la garde de leur(s) enfant(s), de retourner à leur tour sur leur lieu de travail, afin de remplir le lot de travailleurs non-confinés au service du capital.

Le MEDEF ne s’y est d’ailleurs pas trompé en déclarant tout de suite après l’allocution présidentielle : «Nous sommes satisfaits que le président ait fixé un cap pour remettre le pays en marche, parce que c’est le signe que l’épidémie recule grâce au confinement, et cela permet aux entreprises de bien préparer la reprise, et aux enfants de retrouver le chemin de l’école.»

Quelle indignité quand nous savons que l’épidémie de coronavirus en France, loin de ralentir, a encore causé la mort de 574 personnes en 24 heures le 13 avril !
Ce qui compte pour eux, c’est bien la reprise immédiate du travail pour leurs profits, au mépris de la santé et de la vie des travailleurs !

Dans ces circonstances, nous ne pouvons que compter sur la mobilisation des parents d’élèves et des personnels de l’Éducation nationale, via leurs organisations syndicales. Si le gouvernement n’est pas capable de gérer cette crise sanitaire, les travailleurs, eux, le seront, et la Jeunesse Communiste de la Loire sera à leur côté pour les soutenir !
Il faudra en effet une réponse syndicale et politique forte pour organiser la riposte face à ces nouvelles annonces, inconscientes et pleines de danger pour les travailleurs comme pour l’ensemble de la population. Les personnels de l’Éducation nationale, comme tous les autres salariés, ne doivent pas être sacrifiés sur l’autel de l’économie capitaliste !

Restons prudents et mobilisés !
#NOUSNEPAIERONSPAS!

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Tribune : CONFINEMENT, PSYCHIATRIE ET VALIDISME DES SOCIÉTÉS CAPITALISTES

Tribune rédigée par une de nos camarades, exposant son vécu et son ressenti du confinement.
CONFINEMENT, PSYCHIATRIE ET VALIDISME DES SOCIÉTÉS CAPITALISTES
C‘était quelque chose que nous avions anticipé avec beaucoup de crainte, nous autres dépressifs, drogués, psychotiques  et autres malades mentaux. Le confinement. L’isolement plus ou moins total.
Nous sommes malades. Nous avons besoin de soins.
Mais le confinement, c’est la grande majorité des psychiatres libéraux, psychologues, CMPs, suivis hospitaliers à domicile ; en fait la quasi-totalité de nos structures de soin qui ferment. Les lignes téléphoniques (si l’on oublie, pour beaucoup, l’angoisse du téléphone) sont saturées ou suspendues, ou parfois justes tenues par des bénévoles sans formation professionnelle sur les sujets qui nous concernent. Le confinement, pour les malades psy, c’est être livré à soi-même, sans soin, sans suivi, parfois même sans traitement médicamenteux.
Les dépressifs sans barrière contre les idées noires.
Les anorexiques en face de la parfaite occasion de s’affamer.
Les addicts en sevrage forcé, avec donc des risques accrus de rechutes ou conduites compensatoires dangereuses.
Les suicidaires encore plus prompts à passer à l’acte.
les boulimiques devant gérer leurs crises seuls.
Les anxieux en proie aux crises de paniques, amplifiées par le contexte ultra anxiogène d’une pandémie.
Et tellement d’autres encore.
Nous sommes malades. Mais la société, soit ne nous considère pas comme tels (c’est dans la tête voyons, fais des efforts ! ), soit ne considère pas utile de nous donner accès à des soins. Symptomatique du capitalisme, ce phénomène validiste est terriblement destructeur et met des vies en danger.
Les services psychiatriques hospitaliers eux aussi sont surchargés, et bien que ce fut déjà le cas avant la pandémie, ils doivent à présent gérer l’afflux des patients atteints du COVID-19. Le tri de ceux qui vivront et ceux qui mourront a déjà commencé. Les lits de réanimation sont en nombre insuffisants. Les plus âgés, dans un premier temps, ne sont d’ores et déjà plus prioritaires pour les respirateurs. La même chose est à craindre pour les malades mentaux. “Les malades mentaux passeront en dernier. Entre une personne saine d’esprit et un fou, vous prenez qui ? “, confie avec tristesse le psychiatre Mathieu Ballahsen, chef de pôle à l’hôpital spécialisé Roger Prévôt à Asnières-sur-seine (source : France 3 Centre-Val-de-Loire)
Du point de vue capitaliste, un “malade mental”, c’est des coûts, des aides à verser, des adaptations du travail (si tant est que la personne soit à même de travailler) ; pour le capitalisme, le malade mental est un frein au profit, comparé à une personne “saine”. Cette personne, sa vie, sera considérée comme ayant moins de valeur et sera placée à la fin de la liste d’attente.
Le fossé entre “fou” et “non-fou” devient encore plus visible en cette période de crise. Des aménagement, par exemple pour le télétravail (ou télécours) qui nous étaient auparavant si difficiles si ce n’est impossibles à obtenir, sont désormais généralisés  sans trop de difficultés. Nous sommes les grands délaissés médicaux de cette pandémie. Et si par malheur il advenait que nous étions pour certains EN PLUS précaires, il nous est d’autant plus évident que nous n’existons qu’à peine aux yeux d’une société préférant ses profits aux individus qui la composent.
Le système capitaliste nous prouve encore une fois qu’ils est fait par et pour une classe privilégiée au détriment des autres. La casse du service public, et dans ce cas précis des services psychiatriques, en est une preuve, l’abandon des personnes mentalement fragilisées, à risques et en difficulté en est une deuxième.
Parfois, c’est ce même capitalisme qui nous rends malade. Mais toujours, c’est lui qui nous maintiendra dans cette position.
Renverser le capitalisme, c’est assurer à chacun une chance.
Une chance de réussir, une chance de s’accomplir, une chance de guérir.
Renverser le capitalisme, c’est notre devoir à tous, et pour tous.
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Famille, foi et patrie : Contre la « Gauche Tradi »

Donald Parkinson conteste les appels à « une gauche socialement conservatrice » qui ont gagné en popularité depuis la défaite de Jeremy Corbyn lors des élections au Royaume-Uni.
(Publié initialement en anglais sur https://cosmonaut.blog/ )

Traduction par A.T.

Socialement conservateurs, économiquement de gauche

Les récentes élections au Royaume-Uni ont mis à l’épreuve la foi de beaucoup de gens. Pour des marxistes voyant la politique de classe comme la voie vers un monde d’émancipation, c’est un bien mauvais augure que de voir d’innombrables prolétaires voter pour un gang de pédophiles. Qu’importe ce que l’on peut penser de la social-démocratie ou des élections bourgeoises, ce fut une défaite pour la gauche. Le nationalisme a triomphé de politiques ouvrières classiques qui tentaient de revenir sur la scène nationale.

La défaite de Jeremy Corbyn face au Brexit a été perçue comme la validation d’une idéologie qui peut être résumée ainsi : « socialement conservatrice, économiquement de gauche ». L’argumentaire est le suivant : face au choix entre la redistribution économique et le nationalisme, la classe ouvrière a choisi le nationalisme. Par conséquent, si elle veut gagner, la gauche doit embrasser le nationalisme ainsi que les autres « habitudes » paroissiales[1] que l’on peut trouver au sein de la classe ouvrière. Le groupe d’influence « Blue Labour » en est un exemple récent, qui a au moins le mérite de défendre honnêtement et ouvertement cette ligne.

Le Blue Labour défend qu’une nouvelle majorité, une majorité silencieuse pour ainsi dire, serait en faveur d’un alignement entre conservatisme social et gauche économique. Il appelle à une politique qui serait « internationaliste et européenne » mais « ni mondialiste, ni universaliste, ni cosmopolite ». Il appelle à embrasser le paroissial contre l’universaliste, au nom de la résistance à la marchandisation du travail, ce qui n’est pas sans rappeler le « socialisme réactionnaire » dénigré par Karl Marx et Friedrich Engels. Cependant, plutôt que revendiquer le retour au féodalisme, le Blue Labour souhaite le retour à une économie fordiste où la famille et la nation sont stabilisées par un ordre social protectionniste.

Un article de Steve Hall et Simon Winlow a fourni à cet argumentaire sa justification théorique. Hall et Winlow dépeignent une fresque historique de la gauche britannique, qu’ils représentent comme une sorte de bataille menée par des réformateurs de classe moyenne s’efforçant d’imposer une moralité cosmopolite à une classe ouvrière socialement conservatrice. D’après Hall et Winlow, ces réformateurs se retrouvaient initialement dans des organisations telles que la Ligue de la Réforme et la Société Fabienne, entrant dans le Parti Travailliste pour imposer leurs idéaux de classe moyenne au mouvement ouvrier. Certes, mais Hall et Winlow accusent Engels de vouloir détruire la vie ouvrière pour ouvrir la voie au socialisme, et prétendent que l’Union Soviétique était une source d’inspiration pour les Fabians puisqu’il s’agissait « d’un système imposé, encore une fois, à la classe ouvrière par une avant-garde de classe moyenne ».

L’article s’aventure alors sur le terrain des théories du complot d’extrême-droite telles que le « marxisme culturel », prétendant que l’école de Francfort et les académiciens poststructuralistes n’étaient rien d’autre que la continuité de ces réformateurs de classe moyenne. On trouve là un récit bien expliqué par Christopher Lasch dans son écrit fondateur, La Révolte des Élites, dans lequel des technocrates de classe moyenne tentent d’imposer une mécanique sociale à un « peuple » sain, un peuple doté d’une saine révulsion instinctive pour tout modèle social imposé par le haut. C’est une vision du monde où tous ceux qui luttent pour des idées sociales progressistes au sein de la classe ouvrière sont, de manière inhérente, des « étrangers de classe moyenne » qui tentent d’imposer leurs manières à la population vertueuse.

C’est aussi une vision du monde qui, peu à peu, faisait surface depuis que des théoriciens marxistes tels que Michel Clouscard et Christopher Lasch se mirent à critiquer ce qu’ils percevaient être une superstructure narcissique et libertine qui renforçait et servait le capitalisme moderne, particulièrement après 1968. Aujourd’hui, des figures comme Angela Nagle et Aimee Terese réitèrent ces critiques à un public sur internet. L’ouverture des frontières et les politiques LGBT+ sont des cibles fréquentes, et on appelle la gauche à faire la paix avec le social-conservatisme qui (supposément) est dominant au sein de la classe ouvrière. Au même moment, Tucker Carlson attire l’attention sur une majorité électorale potentielle qui est « culturellement conservatrice et économiquement populiste », qui peut contester une « religion d’Etat de la politique woke[2] » et « l’élite de gauche ». Dans le journal American Affairs, précédemment pro-Trump, une approche plus intellectuelle est faite de ce genre de politique. Il semble qu’une tendance politique générale soit en train d’émerger à gauche comme à droite, se basant sur le principe qu’organiser la classe ouvrière et contester le capitalisme libéral signifient se tourner vers le conservatisme social, voire même embrasser les valeurs traditionnelles. Pour citer un tweet du podcaster de gauche Sean P. McCarthy :

« Pour moi, on dirait que la religion, la famille et l’Etat-nation sont toutes des choses qui donnent aux gens un sentiment de communauté et de devoir contre l’aliénation et la solitude du capitalisme tardif et la gauche devrait probablement se taire au lieu de parler de les abolir, et laisser les gens en profiter. »

Ici, on voit les trois catégories avec lesquelles la gauche est sensée faire la paix. La religion, la famille et l’Etat-nation ont été identifiées par la gauche comme étant des fétichismes idéologiques et des formes d’oppression et d’aliénation pendant longtemps. Ce n’est pas la déviation d’un « virage culturel postmoderne », comme certains aiment à prétendre pour tenter d’en appeler à une forme antérieure de la gauche où la classe était en première ligne. Parmi les bolcheviques, on trouvait des personnes comme Alexandra Kollontai, qui cherchait à dépasser la famille bourgeoise, tandis que ses camarades appelaient à un internationalisme radical qui ne cherchait aucun compromis avec le national-chauvinisme. Ces positions sont dans la continuité des convictions radicales inscrites dans le marxisme qui critique toutes les superstitions oppressives qui limitent le potentiel humain. Et pourtant, avec la gauche qui va plus que jamais de défaite en défaite, nombreux sont ceux qui pensent qu’il est temps d’abandonner ces convictions. Ils pensent qu’il est temps de faire la paix, voire même de se mettre à appeler à des traditions réactionnaires, au nom de la construction d’un mouvement qui pourrait effectivement défier le capitalisme néolibéral, à la fois économiquement et culturellement.

Nous appelons cette tendance « gauche traditionaliste », ou « gauche-tradi » pour faire court. Il s’agit d’une forme de populisme qui considère que la classe ouvrière a, intrinsèquement, moralement raison, qu’importe son niveau d’organisation ou de conscience politique. Voir le retard social comme un phénomène au sein de la classe ouvrière qu’il faut contester, c’est déjà capituler face à un moralisme petit-bourgeois qui s’intéresse plus à un universalisme abstrait qu’aux besoins directes des travailleurs. La classe ouvrière a peur des migrants, est aliénée face aux personnes trans, et est agacée par les féministes qui cherchent à les faire culpabiliser parce qu’ils désirent une vie de famille stable – c’est ce que défend un tel argumentaire. S’opposer à ces attitudes, c’est jouer le rôle de réformateurs de classe moyenne qui cherchent à imposer leurs valeurs progressistes aux travailleurs contre leur gré. Il en résulte que la gauche tradi appelle implicitement à un programme de frontières solides et de familles fortes ainsi qu’à un état providence paternaliste, tout en flirtant parfois avec la religion. Après tout, Staline lui-même n’était-il pas opposé à l’homosexualité, faisant des concessions à l’Église orthodoxe ?

Dans un article précédent, je critiquais des logiques similaires, bien que moins ouvertement en faveur du chauvinisme, en démontrant qu’une politique d’économisme se concentrant exclusivement sur des questions basiques était anti-marxiste plutôt qu’authentiquement marxiste. Cela étant, en appeler simplement au « marxisme véritable » pour démontrer que la gauche tradi se trompe ne nous aidera pas beaucoup dans la mesure où, à la base, la plupart des gens ne se considèrent pas comme marxistes. Faire la morale, ou traiter les gens de rouge-bruns de nous aidera pas non plus. Au lieu de cela, nous avons besoins d’arguments politiques solides pour démontrer qu’un économisme de « gauche » qui en appelle à la nation, la famille et l’église n’est pas la réponse aux problèmes que nous affrontons aujourd’hui, et ce particulièrement quand nous entamons le dialogue avec des communautés ouvrières qui tiennent elles-mêmes des sentiments conservateurs.

Nation

Commençons par la question de la nation. Le Blue Labour défend qu’une politique qui « s’oppose aux frontières et à l’idée de nation … ne peut pas développer d’histoire alternative de concept de nation démocratique, ni d’appartenance, ni de relations internationales. » Le postulat sous-jacent est que ce n’est que par le nationalisme et l’Etat-nation qu’un régime démocratique peut être construit, et puisqu’un régime démocratique est nécessaire à une politique de gauche, la gauche doit exalter la nation. Cela implique d’accepter les contrôles aux frontières pour limiter les migrations et se « préoccuper d’abord de nos travailleurs ». C’est une logique politique qui vise à affirmer l’Etat-nation dans un rôle de bouclier protecteur contre le pouvoir du marché mondial, avec le capitalisme néolibéral une contradiction entre souveraineté nationale et mondialisation. De véritables marxistes comme Wolfgang Streck ont fait ce genre d’allégations, défendant une distinction entre le « peuple de l’Etat » et le « peuple du marché » pour affirmer que sans une communauté nationale forte il n’y a pas de possibilité de s’opposer au capitalisme.

En suivant cette logique, diverses figures à gauche comme Angela Nagle et Paul Cockshott ont soutenu que la gauche devrait se féliciter plutôt que s’opposer aux contrôles d’immigration. Au final, cet argument suit un postulat tacite que les nationalistes d’extrême-droite ont répété depuis l’aube de l’Etat-nation : les programmes sociaux se basent sur une communauté ethniquement homogène. Par conséquent, si la gauche veut reconstruire un Etat-providence ravagé par le néolibéralisme, elle n’a d’autre choix que se faire l’avocate d’un Etat-nation fort pour préserver l’homogénéité de la nation face à l’immigration. Et plus elle tarde à le faire, plus elle perdra, comme Jeremy Corbyn.

Le Blue Labour affirme que rejeter le national signifie uniquement embrasser un « universalisme abstrait », contrairement à une communauté nationale concrète, existante. Depuis cet universalisme abstrait, impossible de former véritablement un régime ouvrier.  Et pourtant, ce que l’argumentaire semble oublier, c’est que les Etat-nations eux-mêmes furent, à un certain moment, rien d’autre qu’un universalisme abstrait. La révolution française a développé la nation moderne par une notion de citoyenneté universelle qui cherchait à garantir les droits de l’homme, et pour former l’état-nation une collection disparate de communautés agraires a dut être mobilisée au nom de ces droits. Par un processus de mobilisation et d’organisation politique, la nation abstraite est devenue une réalité politique concrète, centralisant diverses communautés au sein d’un gouvernement représentatif avec des droits, des devoirs et une langue commune.

S’il a été possible de faire cela pour l’Etat-nation originel, alors il est possible de prendre un internationalisme abstrait et d’en faire un régime concret. La Deuxième Internationale avait initié un tel projet, construisant une culture ouvrière qui s’orientait autour de la « culture de la manifestation », qui cherchait à construire un sentiment de communauté internationale au sein d’une fédération de parties nationaux.[1] En organisant la classe ouvrière autour de principes de solidarité avec les travailleurs de toutes les nations et en formant des institutions transnationales, il est possible de construire une communauté démocratique qui n’est pas enracinée dans une nation particulière. Cela ne sera pas facile ; la Deuxième internationale a finalement succombé face au nationalisme. Pourtant, dire que seule la nation fournit les bases nécessaires à la construction d’une communauté démocratique, c’est s’abandonner à la voie de la moindre résistance et ignorer les possibilités contenues dans l’histoire.

Si nous cherchons à construire cette communauté internationale de prolétaires, nous devons nous opposer aux contrôles d’immigration. Comme Donna Gabaccia le démontre dans son ouvrage Militants et Migrants, le processus de migration a toujours été décisif dans la formation de communautés ouvrières transnationales.[2] Dire que les contrôles d’immigration sont nécessaires parce que la nation est la seule manière pour les travailleurs de former une communauté politique, c’est s’imposer des conditions qui rendent les communautés ouvrières transnationales plus difficiles à former.

Un autre problème dans le fait d’embrasser l’Etat nation, est que nous entrons dans une crise mondiale de changement climatique qui ne peut tout simplement pas être réglée au niveau national. Développer le genre de réponse nécessaire face à la catastrophe potentielle à l’horizon va requérir une coopération au-delà de l’échelle nationale et œuvrer à une économie planifiée mondiale. L’alternative est que les nations soient en compétition pour avoir la chute la moins désastreuse, protégeant leurs populations respectives du pire tout en enfermant dehors ceux qui souffrent, les laissant comme sur un canot de sauvetage en train de couler. Il est impératif que l’humanité dépasse l’Etat-nation si elle veut survivre.

 

 Famille

« L’abolition de la famille » a pendant longtemps été une position controversée au sein des communistes, poussant Marx et Engels à l’aborder dans le Manifeste du Parti Communiste en se défendant d’attaques de droite. La réponse de Marx et d’Engels fut de montrer que la famille était déjà en train de disparaître face au capitalisme pour la majorité du prolétariat, une observation qui est faite aujourd’hui par la gauche tradi pour défendre qu’adopter les valeurs familiales est la conclusion logique d’une politique anti-capitaliste.
Je concéderais bien à la gauche tradi qu’« abolir la famille » ne soit pas vraiment un slogan porteur. Ce n’est pas tant parce que cela effraierait les travailleurs mais plutôt parce que ça n’exprime pas efficacement nos objectifs. Nous devrions être plus précis dans notre langage, et porter nos vues plus précisément sur le patriarcat. C’est la dépendance des femmes vis-à-vis de leur mari et des enfants vis-à-vis de leurs parents que nous cherchons à éliminer, pas la cohabitation de filiation et le soutien émotionnel qui va avec. Bien sûr, on trouve des gens à gauche comme Sophie Lewis qui voient un futur au-delà de la famille basée sur une maternité de substitution universelle, une vision qui semble plus conçue pour troller la gauche tradi qu’en tant que véritable programme politique. De telles visions sont véritablement aliénantes, et pourtant leur existence n’exige pas de réponse contradictoire de même envergure qui défende la famille traditionnelle.
D’après Christopher Lasch, la famille est un « havre de paix dans un monde sans cœur ». Si la vie sociale est réduite à une pure compétition économique entre des individus atomisés, alors la famille, pour ceux qui ont la chance d’en avoir encore une, est l’une des rares formes de communauté dont ils disposent. Il ne fait aucun doute que la destruction de la famille par le capitalisme, tout en ne laissant rien pour la remplacer, est une perspective plutôt sombre et psychiquement horrifiante. Cela étant, c’est une erreur d’idéaliser la famille en y voyant une échappatoire à l’aliénation du marché, quand pour de nombreuses personnes, la famille en elle-même est une forme d’aliénation directe et personnelle. Tout le monde ne vit pas dans un monde où leur famille est leur amie ; dans de nombreux cas, la famille peut être son pire ennemi. Nous pouvons faire mieux que valoriser une forme d’aliénation en réponse à une autre.
Plutôt que se rabattre sur la famille face à sa destruction sous le capitalisme, nous devrions chercher à créer un monde où le havre de paix de la famille n’est pas nécessaire. Plutôt qu’une société pleine de famille brisées, nous avons besoin d’une société où quelqu’un ne disposant pas d’une famille puisse prospérer aussi bien que quelqu’un dont la famille est intacte. Voilà ce que « abolir la famille » signifie vraiment : en finir avec les relations économiques de dépendance des femmes et des enfants vis-à-vis du patriarcat, pour que la filiation soit basée sur des relations volontaires d’amour et de communauté véritables. Cela impliquerait non pas de supprimer la capacité des parents à élever leurs enfants, mais plutôt de donner aux enfants l’option de quitter leur famille si elle est violente, tout en conservant des réseaux de soutien autres que la famille d’accueil et la misère qu’elle crée. Cela signifierait en finir avec le travail domestique gratuit des femmes qui reproduit la famille nucléaire, en socialisant le travail et en supprimant ses connotations genrées.
Sans parler du fait qu’une réaffirmation des valeurs familiales ne peut être fait qu’en se tournant vers une infâme culture patriarcale. Il nous faut comprendre que le patriarcat ne relève pas simplement du comportement des hommes, il s’agit d’un mode de production issu de l’histoire, doté de formes institutionnelles d’après lesquelles la femme et les enfants sont propriétés du père, produisant ce qui s’avère être essentiellement de l’esclavage pour reproduire le modèle du foyer comme unité
économique. Revenir à la famille traditionnelle exigerait de donner du pouvoir à cette unité économique en renforçant les conditions dans lesquelles les femmes sont fondamentalement la propriété de leur mari. Tant que la gauche tradi n’assumera pas cela et ne décrira pas les mesures qu’elle veut mettre en place dans ce but, tous leurs beaux discours sur les valeurs familiales ne sont que des postures relevant de la sous-culture.

Religion

 La question de la religion est loin d’être tranchée. Les croyances religieuses se sont trouvées être une force idéologique pour mobiliser les pires mouvements réactionnaires, tels que la Garde de Fer en Roumanie ou le coup d’état d’extrême-droite en Bolivie. Cependant, dans un même temps, le sentiment religieux a été utilisé pour mobiliser du côté du socialisme et de la décolonisation, comme avec la Théologie de la Libération catholique, ou le communisme national musulman. On pourrait dire qu’une politique de laïcité est préférable à un athéisme militant, ce dernier ayant fait plus de mal que de bien pour le projet communiste, en éloignant des sympathisants potentiels.

Cependant, pour la gauche tradi, la question de la religion va plus loin que déterminer si l’on peut avoir des croyances religieuses tout en étant un bon militant communiste. Pour une bonne partie de la gauche tradi, embrasser la religion va de pair avec un virage en direction du social-conservatisme. La raison est évidente : embrasser une analyse social-conservatrice est impossible sans déformer le marxisme. On peut trouver dans les doctrines religieuses un aspect éthique pour justifier les points de vue réactionnaires qu’ils voient dans la classe ouvrière. Il y a aussi un élément communautaire et collectiviste dans la religion qui, comme la famille, peut servir de « havre de paix dans un monde cruel » qui peut être mis en opposition à l’individualisme atomisant libéral. Le manque d’un cadre éthique (du moins explicite) dans le marxisme est un autre facteur, un système de croyance qui existe en opposition aux socialistes utopiques qui cherchaient à construire le socialisme sur la base d’idéaux éthiques.

Des exemples de socialistes se tournant au catholicisme ou à d’autres tendances religieuses sont principalement des épiphénomènes sur Twitter, mais il y a d’autres exemples plus célèbres, comme la catholique Elizabeth Bruenig, connue pour sa position anti-avortement. On peut trouver une tentative d’articuler de telles politiques au sein d’un programme dans le « Manifeste Tradinista », écrit par « un petit parti de jeunes socialistes chrétiens dédiés à l’orthodoxie traditionnelle, à une politique de vertu et de bien commun, et à la destruction du capitalisme, ainsi que son remplacement par une économie politique véritablement sociale. »

Le Manifeste Tradinista n’est fondamentalement rien d’autre qu’un shitpost venu d’internet, dénué de quelque pertinence historique que ce soit. Je ne m’y intéresse que parce qu’il s’agit d’un bon exemple de la nature contradictoire de la gauche social-conservatrice et des problèmes qu’il y a à se tourner vers des valeurs religieuses pour contrer le capitalisme libéral. Il commence par affirmer que le Christ est roi et que le régime devrait, par conséquent, promouvoir les enseignements de l’Église, de manière « autonome mais pas complètement séparée de l’Église ». On est donc face à ce qui semble être une sorte de théocratie douce, bien qu’il s’agisse d’une théocratie qui est sensée promouvoir la justice économique. La vision proposée de la justice économique est une sorte de proudhonisme, et qui n’est pas sans rappeler le distributisme catholique. La société de classe doit être éradiquée tandis que le droit à la propriété est affirmé. La solution est la promotion de coopératives ouvrières, chacun devenant propriétaire. Étant donné le développement des forces productives modernes, la faisabilité d’une telle vision relève du domaine de l’imagination.

Le rejet et la promotion simultanés du conservatisme sexuel est encore plus contradictoire. Nos auteurs catholiques se prétendent opposés « au racisme, à la misogynie, à l’homophobie, la transphobie et aux formes d’oppressions similaires », et affirment en même temps que « le mariage et la vie de famille devraient être particulièrement soutenus par le régime pour promouvoir le bien commun » tout en prenant une position « pro-vie » contre l’avortement. C’est une position qui peut avoir du sens pour l’idéaliste religieux, mais pour un marxiste, elle est dénuée de sens. D’après Engels, la femme était la première forme de propriété privée et l’institution de la famille est la base économique sur laquelle repose l’oppression des femmes. Porter une telle position reviendrait à appeler à l’abolition de l’obésité tout en soutenant l’industrie du fast-food.

Cette contradiction illustre le piège dans lequel les socialistes tradi se trouvent. En appelant à une économie de gauche et des valeurs culturelles sociales-conservatrices, ils ne reconnaissent pas que les valeurs conservatrices ne trouvent un écho que grâce à la division de la société en classes et les diverses formes d’oppressions qui les accompagnent. Les gens se tournent vers différentes structures traditionnelles telles que la famille et la religion en partie parce qu’elles servent d’abri pour se protéger des pires aspects de la société capitaliste. Il y a, bien sûr, la force d’habitude que ces comportements ont inculqué aux gens, et qui a la vie dure. Pourtant il est impossible de croire que le renforcement de la famille serait une composante d’un monde où l’égalité économique serait la norme, à moins que les femmes ne soient systématiquement exclues de cette norme afin d’éviter d’avoir à leur garantir une indépendance économique. En finir véritablement avec la société de classe implique par conséquent d’en finir avec le patriarcat.

On trouve aussi là un problème quand on tente de baser la politique sur la religion en générale, dans la mesure où l’éthique religieuse tend à être basée sur des assertions à priori qui ne sont pas sujettes à des questionnements plus poussés, et auxquelles on doit donc s’accrocher. Alexander Bogdanov qualifiait cela de « causalité autoritaire », un type de pensée qui voit la causalité comme ancrée dans une force supérieure qui existe avant toutes les autres causes.[1] La tradition religieuse voit l’œuvre du ou des dieux comme cette cause finale et par conséquent tient l’éthique comme découlant de ces dieux, la rendant indiscutable. Cela signifie qu’une compréhension collective et démocratique de ce qui définit la « bonne vie » est hors de question, puisque cette réponse est déjà prise comme objet de foi.[2] Ainsi, quand les Tradinista tentent de construire une politique de gauche pour le monde moderne, ils sont forcés d’accepter le dogme de l’Église catholique, qui est opposé à l’avortement, tout en prétendant simultanément être contre la misogynie, ce qui résulte en une politique incohérente.

Malgré ces contradictions, le désir d’une base éthique au-delà de l’analyse scientifique de l’histoire fournie par le marxisme est réel. Je pense que pour nous communistes, le nihilisme éthique n’est pas une position tenable. Une vision éthique de base est nécessaire. Peut-être pouvons-nous trouver cela dans l’éthique du républicanisme classique, un discours qui était implicite pendant tout le début du mouvement socialiste dans lequel Marx et Engels étaient ancrés. Ou bien, peut-être que la « construction de dieu » de Lounacharski est la solution, dans laquelle, dans le sillage de la destruction des vieilles religions, l’humanité doit construire un nouveau système religieux dénué de superstitions, pouvant fournir une base morale pour l’humanité. De telles fondations morales doivent être universalistes et basées sur la raison, pas sur un credo traditionnel qui n’est pas sujet à des questionnements poussés. Qu’importe ce que l’on pense de ces idées, se tourner vers les vieux dogmes religieux n’est pas la solution au problème, même sur des bases pragmatiques. Les sentiments religieux prennent leurs racines dans l’éducation et les expériences personnelles de chacun, et ne peuvent pas unir les masses des travailleurs autour d’une tâche humaine commune de renversement de la société de classes. Une approche pluraliste permettant la participation de socialistes religieux au sein d’un mouvement plus large, unifié autour d’une radicalité véritablement universelle, est préférable.

Le capitalisme libéral est-il intrinsèquement socialement progressiste ?

Dans ses débats, la gauche tradi insiste souvent pour dire que le capitalisme détruit tous les liens patriarcaux et traditionnels des vieilles communautés, créant ainsi un individu libéral atomisé qui peut être exploité par le capital. Julius Evola, l’ultime philosophe du traditionalisme, est connu pour avoir déclaré que le capitalisme est tout aussi subversif que le communisme. On ne saurait vraiment être en désaccord avec ça. Cependant à partir de ce postulat, un nouveau pas est franchi avec l’argument selon lequel s’opposer véritablement au capitalisme implique d’assumer ces formes traditionnelles et de les protéger de l’érosion qu’elles subissent à cause du capitalisme. D’après eux, être socialement progressiste n’est rien d’autre que faire le travail du capitalisme pour les capitalistes, et la gauche ne sera rien d’autre que l’avant-garde du libéralisme tant qu’elle continuera de rejeter le social-conservatisme.

Il faut se pencher un peu plus attentivement sur cette idée selon laquelle le capitalisme est intrinsèquement socialement progressiste et hostile au conservatisme social. Cela nous mène aux théories de Karl Polanyi et sa notion de « Double mouvement ».[1] D’après Polanyi, le capitalisme est unique de par sa tendance à incorporer tous les éléments de la vie sociale dans le nœud du marché, aliénant tout ce qui par le passé était inaliénable. En se concentrant sur l’Angleterre du XIXème siècle, Polanyi examina la transformation de communautés « naturelles », au sein desquelles le travail et la terre avaient une valeur intrinsèque qui était arbitrée par des relations de devoir personnel et d’obligation, et qui étaient désormais l’objet d’échanges abstraits. Là où le travail était alors arbitré par la tradition et les coutumes il porte désormais une étiquette donnant son prix, sujet aux caprices de l’anarchie du marché. Comme le dirait Karl Marx, « tout ce qui est solide se fond dans l’air. »

Dans la vision de Polanyi, ce mouvement du capital incorporant tout ce qui existe en-dehors de lui provoquera inévitablement un contre-mouvement pour protéger l’ordre social de cette corrosion, puisque le marché finira inévitablement par détruire les fondations même de son fonctionnement. Ce contre-mouvement peut prendre de nombreuses formes, depuis le protectionnisme national jusqu’au communautarisme ou à l’état-providence. Contre l’atomisation de l’humanité en denrées à vendre, il se trouve une affirmation des solidarités sociales qui visent à rétablir ce qui a été détruit. Ce contre-mouvement est perçu comme étant externe à la logique du marché, tout en étant en même temps nécessaire à son fonctionnement pour que la société ne sombre pas dans une guerre du chacun pour soi et contre tous.

Polanyi ferait un excellent théoricien pour la gauche tradi, puisqu’en utilisant son cadre d’analyse on pourrait en appeler à la revalorisation de la famille, de la nation et de l’église en tant que solidarités sociales pour fournir les fondations du contre-mouvement opposé au capitalisme néolibéral. Cependant, en identifiant le capitalisme aux seules logiques du marché et de la désintégration sociale, Polanyi surestime dans quelle mesure ces contre-mouvements sont véritablement externes au capital. Il établit une situation où toute réaction face au capitalisme sera intrinsèquement conservatrice, défendant et réaffirmant les modes de vies traditionnels qui ont été interrompus par le capitalisme. Pourtant, et si le mouvement du capitalisme et le contre-mouvement qui s’y oppose, le double mouvement, étaient internes au capitalisme, au lieu que ce dernier soit externe au premier ?

Melinda Cooper, dans son ouvrage Valeurs Familiales, développe précisément cette critique en observant le rôle de la famille dans l’histoire du néolibéralisme. Se basant sur l’ouvrage de Wendy Brown, Cooper affirme que le néolibéralisme et le néoconservatisme doivent tous deux être analysés comme une dialectique plus large au sein du capitalisme. Pour ce faire, elle se concentre sur le rôle de la famille dans la politique et le discours à la fois des néolibéraux et des néoconservateurs, démontrant comment les deux tendances politiques se sont impliquées pour maintenir la famille comme base d’une société fondée sur des contrats marchands. Des néolibéraux comme Gary S. Becker et Milton Friedman se sont servis d’inquiétudes quant à la fragilisation de la famille par les aides sociales pour promouvoir la réforme du système d’aides, non seulement comme mesure de réduction des coûts, mais pour promouvoir l’équilibre de la famille comme base fiable pour l’équilibre du marché.[2] Cela pousse à se demander si le néolibéralisme est vraiment doté d’une superstructure  intrinsèquement progressiste de libération sexuelle et hédoniste se séparant de la famille. Milton et Rose Friedman écrivaient dans leur livre, La Tyrannie du Statut Quo :

« Si nous avons raison et que le vent tourne, que l’opinion publique s’éloigne de la croyance en un gouvernement fort et en la doctrine de responsabilité sociale, alors ce changement … tendra à rétablir la croyance en une responsabilité individuelle en renforçant la famille et en rétablissant son rôle traditionnel.[3] »

Pour les néolibéraux, la famille était un ordre spontané qui se développerai une fois libérée des déformations de l’assistance publique et fournirait une base sur laquelle le marché pourrait s’épanouir. Les réformes néolibérales des aides sociales visaient à faire que ce soit la famille, et non plus l’état, qui absorbe le coût des externalités, ce qui signifiait que la réforme des aides visait bien plus qu’une simple réduction de budget, mais aussi à imposer la morale familiale. Pour les néoconservateurs, la famille devait être protégée activement, et pour cela, il fallait que l’état intervienne. Quand la famille ne s’est pas développée en ordre spontané du fait des réformes néolibérales, le néoconservatisme, en tant que force politique, était nécessaire pour réaffirmer la famille comme contre-mouvement. Cooper résume la relation des deux idéologies vis-à-vis de la famille ainsi :

« Si les néolibéraux étaient convaincus que les obligations économiques de la famille devraient être appliqués même quand les liens légaux et affectifs de filiation avaient été rompus, les social-conservateurs étaient résolus à raviver activement la famille en tant qu’institution morale fondée sur le travail non-rémunéré de l’amour. Les deux étaient en revanche d’accord sur le fait que ce serait à la famille (plutôt qu’à l’état) de tenir le rôle de première source de sécurité économique.[4] »

On peut voir le néolibéralisme et le néoconservatisme comme un exemple montrant comment le double mouvement de Polanyi est une dialectique interne au capitalisme lui-même, avec des contre-mouvements qui cherchent à réaffirmer ce qui est détruit par les forces du marché agissant pour faciliter la reproduction du capitalisme dans son ensemble. Il en résulte que les contre-mouvements qui prônent la famille ou la nation comme boucliers protecteurs contre les pires aspects du capitalisme n’offrent pas une échappatoire face au capitalisme ; au contraire, ils servent à le stabiliser. Par ailleurs, le libéralisme de marché n’implique pas forcément une superstructure progressiste. Les fanatiques capitalistes les plus résolus à incorporer toute vie au marché voient un grand rôle dans la vie de famille, même s’ils laissent sa promotion à d’autres forces politiques. Voir l’émergence de modes de vies et de sexualités alternatives comme étant simplement l’expression super structurelle du néolibéralisme est finalement trop simpliste ; c’est ignorer dans quelle mesure le social-conservatisme se synchronise avec le néolibéralisme.

Ce qui est nécessaire, c’est une alternative émancipatrice à la société de classe elle-même, qui puisse transcender la dialectique du marché libéral et du conservatisme social, plutôt que prôner l’un des deux aspects contre l’autre. La destruction du village et de la vie de famille dans le capitalisme crée néanmoins une communauté au sein du prolétariat qui est engagée dans le travail collectif sur le lieu de travail et dans la communauté, favorisant le potentiel d’une nouvelle communauté qui ne soit pas enracinée dans des modes de vies paroissiaux. La formation de cette communauté par des alliances transnationales en tant que collectivité politique permet d’ouvrir la voie, pour dépasser autant l’atomisation du marché que le nationalisme patriarcal.

La classe ouvrière est-elle naturellement conservatrice ?

Parmi ceux qui se servent d’arguments similaires à ceux du Blue Labour, tous n’ont pas forcément un attachement particulier pour la famille traditionnelle ou le nationalisme, mais pensent que la gauche doit simplement abandonner le progressisme social par nécessité pragmatique afin de susciter l’intérêt de la classe ouvrière. Cette notion est basée sur le postulat selon lequel la classe ouvrière est « naturellement socialement conservatrice » et que la mobiliser sur la question de la redistribution économique devrait prendre le pas sur les luttes pour la « reconnaissance » des personnes marginalisées.

Cette notion peut être trouvée dans un bilan récent des tous derniers travaux de Thomas Piketty par Jan Rovny. D’après Rovny, la tendance de vote d’après laquelle les fourchettes de bas revenus votaient à gauche tandis que les fourchettes supérieures votaient pour la « droite marchande » a été chamboulée par le processus de la désindustrialisation néolibérale. Si les plus riches votent toujours à droite, l’électorat majoritaire des partis de gauche ne se trouve plus parmi la classe ouvrière mais chez les professionnels de classe moyenne, souvent désignés par l’acronyme CMS (classe moyenne supérieure). Ce qui reste de la classe ouvrière est désormais récupéré par les partis populistes d’extrême droite, dans un renversement du réalignement politique du début du XXème siècle quand les partis politiques soutenus par une base ouvrière avaient des programmes socialement progressistes.

L’explication quant à pourquoi la gauche socialement progressiste fut en mesure de gagner la classe ouvrière est que le vieil équivalent de la « gauche brahmane »[1] (avec par exemple Jean Jaurès et Léon Blum) fut capable de repousser le conservatisme social intrinsèque de la classe ouvrière. Ces intellectuels de classe moyenne « ont transformé les tendances ouvrières autoritaires en une lutte pour le progrès social universel » et ont « remplacé les tendances nationalistes de la classe ouvrière par l’internationalisme socialiste ». Rovny est en désaccord avec l’optimisme de Piketty pour qui cela peut recommencer, pour deux raisons : d’une, la gauche est incapable de concilier les intérêts économiques de la classe ouvrière avec les intellectuels progressistes de classe moyenne, et par ailleurs les populistes de droite sont capables de parler des intérêts économiques de la classe ouvrière sans le bagage de progressisme social qui va avec.

Le problème de cet argumentaire est qu’il naturalise à la fois le conservatisme social de la classe ouvrier et le progressisme social des classes moyennes. Le social-conservatisme de la classe ouvrière n’est pas le résultat « naturel » de leur expérience de vie spontanée, mais le produit des institutions qui dominent leur vie. Les démagogues de droite, que ce soit dans les médias ou d’autres institutions telles que l’église, luttent activement pour dominer idéologiquement la classe ouvrière et canaliser les injustices économiques pour en faire des comportements chauvins. Le conservatisme ouvrier n’est pas une qualité intrinsèque de la classe ouvrière, mais quelque chose qui lui est inculqué par des acteurs politiques qui luttent activement pour la domination de la vie quotidienne. Il s’agit de quelque chose qui s’est construit de manière historique et institutionnelle, ce n’est en rien « naturel ».

Le progressisme social des couches moyennes relève d’un phénomène similaire, tout autant construit historiquement et institutionnellement. Ce progressisme social est lié au fait que cette couche a pour rôle de justifier idéologiquement le règne de la classe capitaliste. L’idéologie « woke » de cette couche est le produit du rôle qu’elle joue en tant que gestionnaire des ressources humaines pour un ordre capitaliste qui vise à exploiter ouvertement le prolétariat mondial et à gérer l’ordre impérialiste, tout maintenant une façade progressiste en proposant des opportunités économiques pour des populations marginalisées. Son progressisme social est conçu pour laisser autant d’espace que possible au capitalisme pour fonctionner tout en veillant qu’il laisse une chance à ceux qui était jusqu’ici exclus. Si le capitalisme n’avait plus besoin d’un tel masque progressiste, il faudrait alors s’attendre à ce que cette couche embrasse un chauvinisme ouvertement réactionnaire.

Voir les cadres petits-bourgeois comme étant intrinsèquement progressistes socialement, et la classe ouvrière comme étant fondamentalement socialement conservatrice, c’est nous pousser dans une position où toute tentative de lutter pour une politique véritablement communiste ne peut nous f    aire passer pour rien d’autre que des branleurs de classe moyenne qui cherchent à gaver la classe ouvrière avec une idéologie étrangère. C’est tout aussi méprisant envers la classe ouvrière que le sont les libéraux de classe moyenne que la gauche tradi condamne avec raison, parce que c’est partir du principe que la classe ouvrière est trop étroite d’esprit pour embrasser une vision du monde universaliste et progressiste. En vérité, la classe ouvrière n’a pas d’institution propre dans une grande partie du monde à l’heure actuelle, on ne peut par conséquent pas lui attribuer d’idéologie propre. Elle se retrouve ainsi être le jouet des portions socialement réactionnaires et progressistes de la classe dirigeante.

La leçon à tirer de tout cela est que nous devons lutter à la fois contre les démagogues social-conservateurs qui prêchent auprès de la classe ouvrière, et contre les couches moyennes « déconstruites » et exposer au grand jour leur hypocrisie. Si la droite est capable de dominer la vie sociale de la classe ouvrière par ses institutions et la gagner à ses propres discours, alors la gauche en est aussi capable. On l’a déjà fait par le passé, et il n’y a nul besoin de faire concorder leurs intérêts économiques avec ceux des couches socio-professionnelles supérieures. Cette lutte doit prendre place autant dans le domaine politique que sur le terrain de la vie quotidienne. Ce sera sûrement une lutte ardue, étant donné la domination exercée par nos ennemis et le manque de volonté de la gauche à se reconstituer une base ouvrière. On ne peut pas attendre de la classe ouvrière qu’elle adopte spontanément une ligne communiste émancipatrice, mais nous ne pouvons pas non plus abandonner des lignes communistes émancipatrices en échange d’un soutien facile en jouant sur les préjugés des gens. Le chemin sera pavé de défaites, telles que celle qu’on a pu voir au Royaume-Uni. Mais hors de question d’abandonner ; nous devons lutter pour la vérité, et pas sacrifier nos principes par démoralisation et par désir de victoires faciles.


1. Comprendre comme : de la petite communauté traditionnelle, aux pratiques et « habitudes » sociales conservatrices (NdT)

2. « éveillé », dans un contexte français on parlerait de « déconstruction » (NdT)

3. Kevin J. Callahan, Demonstration Culture: European Socialism & the Second International, 1889 -1914 (Leicester: Troubador Publishing, 2010)

4. Donna Gabaccia, Militants and Migrants: Rural Sicilians Become American Workers (New Brunswick: Rutgers University Press, 1988)

5. Pour une explication de la causalité autoritaire, voir : Alexander Bogdanov, Philosophy of Living Experience (Chicago: Haymarket, 2015), 19-20

6. Il ne s’agit pas de dire que les différentes religions n’ont pas développé d’interprétations différentes des dogmes de la foi, cependant celles-ci doivent néanmoins être acceptés à priori après que l’hérésie se soit développée.

7. Karl Polanyi, The Great Transformation: The Political and Economic Origins of Our Time (Boston: Beacon Press, 2001)

8. Melinda Cooper, Valeurs Familiales (New York: Zone Books, 2017), 59-60

9. Cité dans Valeurs Familiales, page 67

10. Cooper, 68 – 69.

11. Avec le déclin des syndicats, cela a eu pour contrepartie une moindre représentation des classes laborieuses. Piketty décrit cela comme l’émergence de l’élite de la “gauche brahmane” (Brahmin Left), qui peut être comparée à l’élite “marchande” (Merchant) à droite.

 

Publié par JC42 dans Non classé

Ni intersectionnalité, ni économisme : pour une véritable politique de classe

Article original de Donald Parkinson, publié le 07 Août 2019 sur Cosmonauttraduit de l’anglais par AT

Ni une politique de l’identité, fondée sur des théories intersectionnelles, ni des lectures du marxisme le réduisant à de l’économisme ne sont adéquates pour un projet socialiste moderne, c’est ce que défend Donald Parkinson.

Le socialisme est encore en majeur partie une sous-culture aux États-Unis, et tandis que l’on assiste à la croissance d’organisations telles que les Socialistes Démocratiques d’Amérique (DSA), des débats et des fissures variées apparaissent au sein d’elles, quant à l’approche correcte de politiques socialistes. L’un des débats les plus proéminents (non seulement au sein du DSA mais de toutes la gauche aux États-Unis) est entre des perspectives qui peuvent être classées en deux camps : les politiques identitaires, et l’économisme de « la classe avant tout ». Les politiques identitaires se concentrent sur des problématiques d’oppressions extra-économiques comme moyen de mobiliser les militants autour de groupes identitaires précis, ainsi que ceux qui se considèrent comme des alliés de tels groupes ; tout cela en se basant théoriquement sur la notion d’intersectionnalité. On parle souvent de « politique identitaire » pour tourner en dérision ces formes de militantisme, et il est souvent difficile de distinguer nettement politique de droits civils et politique identitaire. Il est parfois difficile de déterminer quelles critiques des politiques identitaires font simplement écho à des arguments de droite, et lesquelles portent effectivement des politiques socialistes et d’émancipation ; on verra souvent ce fait utilisé pour écarter toute attaque faite à la politique identitaire. Une réaction en vogue face à l’avancée des politiques identitaires se trouve être une sorte d’économisme social-démocrate, qui cherche principalement à construire une coalition politique la plus large possible, autour de questions économiques basiques tout en évitant toute question politique perçue comme pouvant semer la discorde. Mon but ici est de démontrer que ces deux approches sont des impasses.

Parmi les auteurs décrits comme des exemples de politique identitaire, on trouve Ta-Nehisi Coates, Bell Hooks et Kimberlé Crenshaw. Pour cet article, nous nous concentrerons sur Crenshaw, qui a délimité les contours de la théorie de l’intersectionnalité dans ses articles « Démarginaliser l’intersection de la Race et du Sexe : une critique Féministe Noire de la Doctrine de l’Antidiscrimination, de la Théorie Féministe et des Politiques Antiracistes » et « Délimiter les Marges : Intersectionnalité, Politique Identitaire, et Violences faites aux Femmes de Couleur ». Dans « Démarginaliser », Crenshaw examine l’expérience des femmes noires et la forme unique d’oppression qu’elles subissent, comme quelque chose qui ne peut pas être purement compris sur l’axe du genre, ou de la race. Elle donne l’exemple du procès DeGraffenreid contre General Motors où cinq femmes noires poursuivaient General Motors pour discrimination contre les femmes noires, citant le fait que l’entreprise n’avait pas embauché une seule femme noire de 1964 à 1970, et avait par la suite licencié un nombre disproportionné de femmes noires grâce au système d’ancienneté. Crenshaw souligne le fait que ces tentatives de poursuivre GM avaient été contrées en montrant qu’ils avaient embauché des femmes, bien que blanches, ainsi qu’en ressortant un procès antérieur contre les discriminations raciales à l’encontre des hommes noirs. Bien qu’il ait été démontré que GM ne discriminait pas ses employés simplement en fonction du genre ou de la race, Crenshaw démontrait que GM pratiquait des politiques discriminatoires à l’encontre de l’identité spécifique des femmes noires. Ainsi donc, se contenter d’utiliser les catégories de race ou de genre ne suffisait pas ; il fallait comprendre comment ces oppressions s’entre-croisaient de certaines façons spécifiques. Pour citer Crenshaw,

« Le refus de la cour de reconnaître, dans l’affaire DeGraffenreid, que les femmes Noires subissent des discriminations racistes et sexistes de manière combinées implique que les frontières de la doctrine de discrimination de genre et de race sont définies respectivement par les expériences des femmes blanches et celles des hommes Noirs. Dans cette vision, les femmes Noires ne sont protégées que dans la mesure où leur expérience coïncide avec celles de l’un des deux groupes. »i

Crenshaw tire la conclusion suivante : l’oppression des femmes noires ne peut être comprise comme étant basée soit sur le genre soit sur la race, mais comme étant à l’intersection de ces deux axes. Elle décrit cela sous le terme de double discrimination, similaire à la discrimination subie par les hommes noirs ou les femmes blanches, mais néanmoins unique et irréductible à l’un ou à l’autre. Utiliser indépendamment soit la catégorie de la race, soit celle du genre, ne peut que faire de l’ombre à la véritable discrimination qui est vécue. Pour approfondir sur le sujet, Crenshaw explore les expériences de la vie de Sojourner Truth et comment elles ont remises en cause non seulement les notions conventionnelles de féminité mais aussi les notions de femmes noires comme étant moins que des femmes. Dans ce contexte, l’expérience de Sojourner Truth, subissant des oppressions à la fois raciales et de genre, indiques l’incapacité de la plupart des formes de féminisme à parler des expériences des femmes noires, et ne parlent par défaut que des expériences de femmes blanches. D’après Crenshaw, quand le féminisme parle des problèmes vécus par les femmes, on suppose tacitement que le sujet de la discussion est une femme blanche. Les femmes noires, subissant un statut unique d’oppression, sont ainsi laissées hors du cadre.ii

A première vue, il n’y a pas grand-chose de véritablement discutable dans les affirmations de Crenshaw. Les femmes noires souffrent clairement d’une forme de double oppression. Crenshaw réussit à montrer non seulement comment ces formes entre-croisées d’oppressions existent, mais aussi qu’elles sont dissimulées par le système judiciaire. Pourtant, ce qui manque dans son argumentation, c’est l’élément d’analyse de classe, comme Mike Macnair l’a souligné. Le procès DeGraffenreid contre General Motors, par exemple, est tout autant l’expression du pouvoir de classe inscrit dans la loi bourgeoise, qu’il est l’expression de l’incapacité de la loi à traiter correctement les expériences d’oppressions cumulées. Ce que Crenshaw ne mentionne pas, c’est que ces procès était l’expression d’entreprises capitalistes se servant de la loi pour que leur force de travail reste une ressource malléable, embauchable et jetable à loisir.iii Ceci ne peut être simplement compris en termes de discrimination, mais en tant qu’élément de l’exploitation structurelle, du fait des relations de classes régissant la production capitaliste. Quand une analyse intersectionnelle traite effectivement de classe, elle tend à ne le faire qu’en termes de discriminations faites à l’encontre d’individus sur la base de leurs origines sociologiques, parlant alors de « classisme ».

L’intersectionnalité pêche également par sa fonction purement descriptive, plutôt qu’explicative. Elle démontre que des individus vivent des oppressions, de façons diverses et cumulées, mais elle n’explique pas comment ces oppressions sont reproduites dans la société. L’analyse marxiste du racisme et du patriarcat cherche à comprendre comment ces oppressions sont rattachées à la reproduction sociale, et donc qu’elles peuvent être abolies en changeant la société. Du fait que ses origines se trouvent dans la théorie juridique, l’intersectionnalité cherche à décrire l’expérience de diverses oppressions et à mettre un terme à la pratique de ces oppressions dans le cadre de la loi et de l’ordre bourgeois. Il en résulte que l’objectif principal de la pratique militante associée à l’intersectionnalité, appelée communément justice sociale, est de rendre les relations sociales existantes plus équitables (ou plus justes) pour les opprimés, au lieu de changer les fondations de la société. Parce qu’elle est privée d’une critique de la manière dont les oppressions sont reproduites dans la division du travail et des relations de classe de la société, elle cherche à opérer de changements dans la pratique juridique ou dans les habitudes sociales de la société. Bien que les pratiques juridiques et les habitudes sociales soient certainement matérielles et structurelles, et que nombre des changements proposés soient souhaitables, il est nécessaire que nous placions le combat pour de telles réformes au sein d’un cadre et d’une stratégie de changement révolutionnaire plus vastes, afin de remettre en cause non seulement certains aspects injustes de la société, mais aussi les bases sous-jacentes de notre société fondamentalement oppressive dans son ensemble.

La pratique politique associée à l’intersectionnalité tend à prendre la forme d’un militantisme et de coalitions concentrés sur une seule question, ainsi que les formes individuelles de conscientisation (telles que checker ses privilèges, etc.) L’accent mis sur les oppressions que des groupes spécifiques vivent peut mener à croire que seuls les membres du groupe opprimé spécifique en question peuvent mener des campagnes militantes. Cela crée une politique fragmentée où dans certains cas extrêmes, seul « l’intérieur du groupe » peut s’exprimer sur une certaine question, tandis que « l’extérieur du groupe » ne peut rien faire d’autre qu’écouter et soutenir leur lutte comme « alliés ». Cet aspect de la politique identitaire, ou politique « woke »[1], est l’aspect le plus important à critiquer, puisqu’en pratique il mène à un effondrement de la solidarité et exclue la possibilité d’un projet pour l’émancipation universelle de l’humanité.

Les théories d’intersectionnalité de Kimberlé Crenshaw ont eu une vaste influence sur ce qu’on appelle la politique identitaire

Il faut noter que Crenshaw précise que « l’intersectionnalité n’est pas proposée comme quelque toute nouvelle théorie totale de l’identité » et qu’elle ne « voudrait pas suggérer que la violence à l’encontre des femmes de couleur peut être expliquée uniquement par le cadre spécifique de race et de genre étudié ici. »iv Elle ajoute aussi que les questions de classe et de sexualité sont d’une grande importance, bien qu’elles ne soient pas mentionnées explicitement. Néanmoins, indépendamment de la manière dont Crenshaw voulait que sa théorie soit utilisée, elle devenue est sans aucun doute une référence constamment invoquée à gauche. Pour comprendre le débat au sein de la gauche sur la politique identitaire, on ne peut pas ignorer les travaux de Crenshaw. Il faut ajouter que Crenshaw ne fut pas la première théoricienne à traiter de l’oppression unique aux femmes noires. Des théoriciennes telles qu’Angela Davis et Claudia Jones se sont également penchées sur les manières dont la race, la classe et le genre interagissent, mais dans un cadre spécifiquement marxiste. Quand nous parlons d’intersectionnalité, nous parlons des théories précises développées par Crenshaw, et non pas d’une analyse qui implique les catégories raciales et de genre ainsi que la classe. On pourrait aller même jusqu’à dire que l’intersectionnalité est une récupération fondamentalement libérale de critiques marxistes qui ont existé au sein du mouvement socialiste depuis un certain temps.

A gauche, on trouve une quantité foisonnante de critiques des théories intersectionnelles et de la politique identitaire. « Exiting the Vampire Castle » par Mark Fisher en est un exemple célèbre. C’est une description et une critique des comportements cruels et anti-solidaires associés au « woke-isme », où les individus contrôlent le langage des autres de manière souvent arbitraire, l’atmosphère étant marquée par une « odeur de mauvaise conscience et de moralisme de chasse au sorcières ».v« Exiting the Vampire Castle » fut reçu à grand renfort de vitriol, car il était perçu comme faisant écho à des arguments conservateurs et attaquant la gauche d’une façon qui se concentrait sur ses excès et les exagérait. D’autres trouvèrent que l’analyse de Fisher trouvait une résonance avec leur expérience négative de la gauche. Quoi qu’on pense des arguments de Fisher, ils étaient symptomatiques d’un sens plus vaste d’insatisfaction à gauche vis-à-vis de la politique identitaire qui mènerait à son propre contre-mouvement.

Adolph Reed Junior est l’un des théoriciens principaux de ce contre-mouvement. Bien que Reed écrive depuis les années 70, sa critique de la politique culturelle (et tout particulièrement de la politique Noire) a gagné en pertinence à partir du moment où beaucoup de gens à gauche se sont essayés à construire une négation de la gauche « woke ». D’autres tels qu’Adam Proctor, de l’émission en podcast Dead Pundits Society et Angela Nagle, autrice du livre Kill All Normies, ont marché dans ses pas. Certains de leurs opposants prétendent que ces auteurs forment une tendance connue sous le nom de « la classe avant tout » et sont associés à la « dirtbag left »1. Reed est le plus intelligent et le plus intéressant de ces personnalités, c’est donc principalement sur son œuvre que nous nous pencherons. Il est surtout connu pour son interprétation de la politique identitaire en tant que forme de la politique de classe néolibérale représentant une faction de la petite-bourgeoisie. Il résume son analyse ainsi :

« La politique [identitaire] n’est pas une alternative à la politique de classe ; c’est une politique de classe, celle de la gauche du libéralisme. C’est l’expression et le pouvoir actif d’un ordre politique et d’une économie morale dans laquelle les forces du marché capitaliste sont considérées comme étant naturellement incontestables.

Le déplacement de la critique du résultat individuel produit par un pouvoir de classe capitaliste en des catégories d’identité proclamées et naturalisées de manière égale, qui nous classent dans des groupes supposément définis par ce que nous sommes en essence, plutôt que ce que nous faisons : voilà un élément fondamental de cette économie morale. Comme j’ai pu le soutenir, en suivant ainsi Walter Michaels et d’autres, au sein de cette économie morale, une société dans laquelle 1 % de la population contrôle 90 % des ressources pourrait être juste, à condition qu’environ 12 % de ces 1 % soient noirs, 12 % autres soient Latinos, que 50 % soient des femmes, et que le reste soit proportionnellement composé de personnes LGBT.

Il serait difficile d’imaginer un idéal normatif qui exprime plus clairement la position sociale de personnes qui se reconsidéreraient candidats à l’inclusion, si ce n’est dans la classe dirigeante, sinon au moins à des positions de direction importantes. »vi

Reed développe cette thèses dans son analyse politique depuis les années 70, et son œuvre est plus que méritante. Sa critique d’une politique s’éloignant de l’économie et de buts matériels objectifs, pour viser un but exclusif de changement culturel, est certainement valide quand on observe la déconnexion complète entre la gauche et le mouvement ouvrier, et son incapacité à obtenir de véritables victoires qui dépassent le symbolique. Beaucoup des travaux de Reed se penchent sur les problèmes de la politique des Noirs américains, qui selon lui court en permanence dans des impasses, de par son insistance sur l’organisation de coalitions basées sur l’identité, autour de questions d’anti-racisme. D’après lui, l’antiracisme est devenu une forme de politique visant à alimenter la légitimité d’une certaine élite au sein de la communauté noire, qui s’est formée dans le sillage du Mouvement des Droits Civiques, s’accrochant à ce mouvement et à ses tactiques malgré leur inadéquation dans les circonstances actuelles.vii

L’une des cibles précises de Reed, c’est la demande de réparations. Je ne cherche pas à refaire ici le débat sur les réparations et leur rôle dans un programme politique ; la logique générale de l’argumentation de Reed est ce qui est important. Bien qu’il montre des problèmes tels que la difficulté de déterminer précisément qui obtiendrait des réparations, le véritable argument de Reed est que ce n’est tout simplement pas faisable politiquement. Pour lutter pour des réparations, il faudrait obtenir le soutien d’une majorité d’électeurs, et dans la mesure où les Noirs américains ne constituent pas une telle majorité aux États-Unis, il n’y a pas de manière viable de faire cela. Il défend une alternative – quelque chose comme le New Deal, un mouvement large qui lutterait pour « un accès à une couverture santé de qualité, un droit à un gagne-pain décent et digne, à un logement abordable, à une éducation de qualité pour tous…[ un tel mouvement] ne pourrait être effectif qu’en luttant pour unir une large portion de la population américaine, qui est privée de ces aides sociales indispensables, ou bien vit dans la crainte de les perdre. »viii

Au cœur de son argument, on trouve l’allégation suivante : la politique doit s’éloigner autant que possible de questions conflictuelles, et au lieu de cela, doit se concentrer sur des questions économiques basiques afin d’obtenir le soutien de la majorité. Si l’on suit cette logique, alors lutter pour le socialisme n’a plus de sens, puisque cette question risque de trop diviser. Cela implique plutôt que nous devions nous concentrer sur des campagnes réformistes pour étendre l’état-providence. Reed a rendu claire cette position. A la Convention Internationale de Platypus en avril 2015, Reed a admit qu’il désirait le socialisme, mais a soutenu qu’un « nouveau Front Populaire » qui « avance pas-à-pas » pour « démarchandiser les services publics » tout en évitant la question du socialisme, voilà ce qui était nécessaire à l’heure actuelle, et que seulement après que tout cela ait fait monté la conscientisation, on pourrait aborder la question du socialisme.ix

Ce que défend Reed, c’est fondamentalement une répétition de la social-démocratie de droite de l’après-guerre : un appel aux intérêts matériels des travailleurs les plus basiques, qui évite les questions politiques conflictuelles. Bien évidemment, les socialistes doivent lutter pour ces intérêts matériels basiques, mais ne répondre qu’à ces questions seulement, c’est tomber dans le problème que Lénine avait défini sous le terme d’économisme dans son ouvrage Que faire ?. L’utilisation du terme par Lénine (et la manière dont on l’utilise ici) s’inscrivait dans le contexte d’une polémique avec les marxistes russes, qui étaient convaincus que l’organisation socialiste devrait se concentrer uniquement sur les luttes syndicales, laissant les questions politiques dépendant d’oppressions extra-économiques aux réformateurs libéraux. Les économistes pensaient que la lutte économique serait suffisante pour que les travailleurs développent une conscience socialiste, même sans une lutte politique menée activement par les socialistes. A l’opposé de cette approche, Lénine insistait sur le fait que « le social-démocrate ne doit pas avoir pour idéal le secrétaire de syndicat, mais le tribun populaire sachant réagir contre toute manifestation d’arbitraire et d’oppression, où qu’elle se produise, quelle que soit la classe ou la couche sociale qui ait à en souffrir .»x La plupart des réactions à la montée de politiques identitaires populaires sont fondamentalement une forme d’économisme, prétendant que l’on doit se concentrer sur les questions économiques et baser notre politique uniquement sur ces questions-là.

L’économisme est effectivement incapable de mener à quoi que ce soit au-delà du système capitaliste par lui-même. Les luttes pour étendre les services d’aides sociales, pour de meilleurs salaires et conditions de travail sont une base indispensables à la lutte des classes. Cela dit, de telles luttes apparaissent spontanément du fait de dynamiques du capital lui-même, dans la mesure où le capitalisme est un système dynamique qui peut s’adapter aux nouvelles demandes qui lui sont faites. Si nous cherchons à lutter pour un nouvel ordre politique, il est nécessaire d’aller au-delà de ces luttes spontanées, et au contraire de souligner la nécessité d’un nouvel ordre politique, pour faire de la lutte économique une lutte politique. En se concentrant uniquement sur des revendications économiques basiques afin d’éviter tout type de question politique qui pourrait créer des divisions, on peut facilement tomber dans une logique de social-chauvinisme, où le mouvement évite de prendre quelque position polémique aux yeux de l’ordre capitaliste, au nom de la conservation d’un électorat aussi vaste que possible. Face à des questions politiques telles que l’impérialisme, le racisme et l’oppression de genre, cette stratégie mène à ce que le mouvement consente à prendre le chemin d’une résistance amoindrie, par crainte d’entrer en contradiction avec les masses.

Une telle logique a mené à des résultats tristement bien connus, tels le soutien du SPD allemand à la Première Guerre Mondiale, l’AFL aux États-Unis soutenant la Loi d’Exclusions des Chinois, ou bien des travailleurs en grève exigeant que les femmes n’aient pas accès à l’emploi afin de réduire le chômage durant la Grande Dépression. C’est une logique née d’un accent mis sur l’obtention et la conservation d’un électorat et d’un bénéfice économique maximum au sein de la logique globale du capitalisme. On pourrait dire que la Nouvelle Gauche, et plus tard la politique identitaire intersectionnelle, sont apparues en réaction à ce social-chauvinisme de gauche, identifiant alors l’accent mis sur la classe comme la cause de ces trahisons. Mais face à l’éclatement de la fauche en une myriade de groupes identitaires qui ne peuvent s’unir que par des coalitions, la logique menant à se concentrer sur les questions économiques a un intérêt certain. C’est par les luttes économiques que les différents groupes identitaires pourront s’unir en un projet commun, au-delà des différences culturelles. Là où les économistes se trompent, c’est qu’ils ne voient pas la classe comme un moyen d’unifier l’humanité dans un projet commun pour toute l’humanité, mais plutôt comme une catégorie qui, tout comme les groupes identitaires, doit négocier afin d’obtenir la meilleure position possible dans le cadre existant de la société.

Il est crucial de nous souvenir pourquoi Marx et Engels voyaient la classe ouvrière comme étant une classe révolutionnaire. Ce n’était pas uniquement du fait de leur capacité à retirer collectivement leur force de travail lors de grèves pour imposer leurs revendications auprès de leurs employeurs. C’était plutôt que le prolétariat, défini comme étant composé de ceux qui dépendent d’un salaire payé par les capitalistes, ne pouvait obtenir l’émancipation qu’en s’unifiant en une classe toute entière par-delà de nombreuses divisions de secteurs et en remplaçant collectivement l’appropriation privée des moyens de productions par leur gestion démocratique de la société. De part son existence collective en tant que classe, le prolétariat contient en lui-même la clef de l’émancipation de l’humanité.

Comme Mike Macnair le présente éloquemment,

« Ce n’est pas la force des travailleurs salariés au point de production qui poussa Marx et d’Engels à être convaincus que la clef du communisme est la lutte pour l’émancipation du prolétariat et vice versa. Au contraire, c’est la séparation entre le prolétariat et les moyens de production, l’impossibilité de revenir à l’échelle de production familiale, et conséquemment le besoin pour le prolétariat d’une organisation collective et volontaire, qui les mena à supposer que le prolétariat est une potentielle « classe universelle », que ses luttes sont capables de mener au socialisme et à une société véritablement humaine. »xi

Pour Marx, la classe ouvrière n’était pas juste un groupe opprimé qui était désavantagé ou discriminée par des lois injustes, mais une portion de la société dont l’émancipation incluait « celle de tous les êtres humains, sans distinction de sexe ou de race. »xii L’accent mis par Marx sur la classe n’était pas fait pour contourner les questions d’oppression nationale ou de genre, mais pour servir d’axe unificateur au-delà des différents groupes au sein d’un projet social plus grand – l’émancipation universelle. Contrairement à l’intersectionnalité de Crenshaw, la classe est une catégorie qui a un rôle fondamental dans la politique socialiste, au-delà de celui des autres groupes identitaires, et contrairement à l’idéologie économiste, la libération du prolétariat ne se résume pas à la libération de la classe ouvrière, mais la destruction de « toutes les conditions de vie inhumaines dans la société contemporaine ».xiii

Il ne s’agit pas d’ignorer ou de mettre de côté les revendications politiques basées sur l’identité. Faire cela par crainte de la division crée le danger, mentionné plus haut, de glisser dans le social-chauvinisme. Nous ne pouvons pas plus tolérer une politique ignorant la classe, que nous pouvons tolérer une politique qui « ignore les couleurs ». Les oppressions de race et de genre dépassent la classe, c’est à dire que le racisme n’est pas vécu uniquement par les prolétaires noirs. Les groupes identitaires ont donc l’expérience d’oppressions allant au-delà de la classe et peuvent donc unifier autour de cette expérience de l’oppression. Mais au sein de ces groupes identitaires, des divisions de classe existent qui influencent l’expérience individuelle de l’oppression et les stratégies pour lutter contre elle. C’est là qu’intervient l’un des plus importants aspects de la critique de Reed. Les élites au sein d’un groupe identitaire tendent vers des politiques « d’intermédiation », essayant de manœuvrer au sein du système pour garantir une solution aux problèmes politiques tout en conservant leur position de classe. Il en résulte que la politique identitaire peut donner lieu à des mouvements qui servent principalement la bourgeoisie, tout en laissant le prolétariat de côté. Le meilleur exemple est donné par des mouvements qui tendent à se concentrer uniquement sur l’ascenseur social en faveur de groupes opprimés.

Un économisme qui « ne voit pas les couleurs » mènera la classe ouvrière à l’échec

Pour les marxistes, la réponse à cette question ne doit pas être d’ignorer les luttes des groupes opprimés en faveur d’une conception puriste de la lutte économique, mais de révéler les antagonismes de classe au sein des groupes identitaires et de lutter pour que ce soit le prolétariat qui mène ces luttes. Pour paraphraser Lénine et sa citation plus haut, nous ne devons pas nous contenter d’être les « secrétaires du syndicat » mais des « tribuns du peuple » qui « savent réagir à toute manifestation d’oppression ». En fait, quand les luttes de classe interagissent avec des luttes démocratiques et extra-économiques, elles peuvent donner une direction révolutionnaire qui va au-delà de négociations au sein du système existant. Comme le démontre Louis Althusser dans Contradiction et Surdétermination, la Révolution Russe n’était pas le produit de simples contradictions entre le travail et le capital, mais la résultante d’une accumulation de contradictions liées aux luttes de nationalités opprimées, aux revendications des paysans pour une réforme agraire, et à la guerre impérialiste, permettant à la lutte des classes de se manifester d’une manière qui menait au-delà de ses limites.xiv

Aux États-Unis, où l’héritage du racisme est à peu près intact, nous laissons les élites bourgeoises et managériales diriger les luttes des groupes opprimés, à nos risques et périls. Dans son analyse de la faiblesse du mouvement ouvrier américain et de la hausse de la politique réactionnaire aux États-Unis, Mike Davis affirme que « l’échec du mouvement ouvrier d’après-guerre à former un bloc organique avec la libération Noire, à organiser le Sud ou à vaincre la réaction du Sud dans le Parti Démocrate, ont marqué, plus que tout autre facteur, le déclin final du syndicalisme américain et la reconstruction par la droite de l’économie politique dans les années 70. »xv Ne pas parvenir à faire fusionner les luttes démocratiques des minorités opprimées avec la lutte des classe ne mènera qu’à une politique inoffensive. Il n’y a rien de surprenant à ce que le Parti Communiste des États-Unis ait connu le plus de succès quand il luttait avec combativité pour les droits des Noirs américains.

Nous devons aussi comprendre que la politique identitaire n’est pas une conspiration des classes dominantes pour émousser la conscience de classe, mais une idéologie qui est née des expériences réelles de l’oppression dans un monde sans cœur. Nous vivons dans une culture atomisée et individualiste. Ainsi donc, les gens vont souvent et par défaut aborder ces questions d’une manière individualiste. Dans un monde déjà cruel et brutal, nous risquons de nous marginaliser vis-à-vis des opprimés en critiquant cette politique de manière cruelle et dénigrante. Il y a, bien sûr, des opportunistes de mauvaise foi et des carriéristes qui souhaitent manipuler les questions d’identité, mais en vérité, de nombreuses personnes se sont politisées par des communautés en-ligne qui parlaient directement de leurs problèmes. Un rejet viscéral de toute politique fondée sur l’identité sans comprendre les conditions tout à fait réelles qui mènent à de telles politiques ne fera que marginaliser des gens que nous cherchons à toucher. Il n’y a pas de mystère si les gens s’organisent en groupes identitaires en réponse à des problèmes qu’ils vivent – par exemple, il est parfaitement rationnel pour des Noirs de s’organiser en tant que Noirs contre la violence policière racialisée. Nous desservons notre cause en leur disant de mettre de côté leurs luttes, mais nous desservons également notre cause en refusant de critiquer les élites bourgeoises qui cherchent à tirer profit de ces luttes. Ce qui est indispensable, c’est une politique de classe universaliste qui traite de tous les aspects de la vie sociale, capable de développer et de mettre en pratique une critique de notre société dans son ensemble, et qui puisse unir le prolétariat dans toute sa diversité – pour emprunter l’expression d’Asad Haider, une universalité insurgée.xvi La politique identitaire, tout comme l’économisme, cherchent à négocier une meilleur position au sein du monde existant, mais les communistes ne cherchent pas à négocier, nous voulons renverser l’ordre existant et le remplacer par quelque chose de largement meilleur.

[1] On parlerait de « politique de la déconstruction » dans notre contexte (NdT)

[2] « Gauche de salauds », terme employé par le podcast Chapo Trap House pour s’auto-décrire. Dans leurs propres termes, une « faction de gauche qui laisse de côté la politique identitaire pour porter un message socialiste plus vulgarisé, préférant l’action au politiquement correct » (NdT)

 

  1. iDemarginalizing the intersection of race and sex: a black feminist critique of antidiscrimination doctrine, feminist theory and antiracist politics, pages .138-139

  1. iiIbid, 153-154.

  1. iiiLe sujet est traité par Mike Macnair ici: https://weeklyworker.co.uk/worker/1206/intersectionality-is-a-dead-end/

  1. ivMapping the margins: intersectionality, identity politics, and violence against women of color, pg 2

  1. vMark Fischer, Exiting the Vampire Castle, disponible ici: https://www.opendemocracy.net/en/opendemocracyuk/exiting-vampire-castle/

  1. viAdolph Reed Jr., Fron Jenner to Dolezal: One Trans Good, the Other Not So Much, disponible ici: https://www.commondreams.org/views/2015/06/15/jenner-dolezal-one-trans-good-other-not-so-much

  1. viiAdolph Reed Jr., Antiracism: A Neoliberal Alternative to a Left, disponible ici : https://link.springer.com/article/10.1007/s10624-017-9476-3

  1. viiiAdolph Reed Jr., The Case Against Reparations, disponible ici : https://nonsite.org/editorial/the-case-against-reparations

  1. ixDisponible ici: https://platypus1917.org/2015/04/22/what-is-political-party-for-the-left/

  1. xLénine, Que faire ?, disponible ici : https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1902/02/19020200.htm

  1. xiMike Macnair, Revolutionary Strategy, pg. 25

  1. xiiKarl Marx et Jules Guesde, Programme di Parti Ouvrier, disponible ici (en anglais seulement sur les archives marxistes internationales, NdT): https://www.marxists.org/archive/marx/works/1880/05/parti-ouvrier.htm

  1. xiiiMarx, La Sainte Famille, chapitre 4, disponible ici: https://www.marxists.org/francais/marx/works/1844/09/kmfe18440900.htm

  1. xivAlthusser, Contradiction et Surdétermination, disponible (en anglais seulement, NdT): https://www.marxists.org/reference/archive/althusser/1962/overdetermination.htm

  1. xvMike Davis, Prisoners of the American Dream, pg 322.

  1. xviAsad Haider, Mistaken Identity, pg. 114

Publié par JC42 dans Crassier Rouge, Non classé