La Commune de Paris

SEMAINE DE LA COMMUNE DE PARIS
organisée par l’UEC de la Loire en mars 2011

Commune

Conférence : « Quelle représentation de la Commune aujourd’hui ? »

Avec Georges Pruvost et Alban Graziotin.

– A Paris :

Il s’agit de revenir sur le 19ème siècle, très important pour le mouvement ouvrier, avec la Commune de Paris qui va considérablement faire progresser la pensée de Marx. De nombreux textes de Lénine y feront référence aussi par la suite. Il est clair que cet événement historique majeur doit être approfondi, car il est généralement passé sous silence. C’est un des sujets les plus mal traités à l’école, et on sait pourquoi ; ce sont les vainqueurs qui écrivent l’Histoire, et les capitalistes préfèrent qu’on n’en sache pas trop à propos de la Commune. Sait-on jamais, ça pourrait donner des idées…

Il faut d’abord bien comprendre que la Commune n’a pas été «un coup de tonnerre dans un ciel serein», ni même un complot orchestré par l’Internationale. Cette insurrection est née dans un certain contexte : avec la guerre qui a débuté en 1870, les parisiens ont connu état de siège et famine, les troupes ont véritablement été massacrée, les généraux ont mené la guerre d’une manière sidérante, préférant peut-être essuyer une défaite qu’affronter la grogne du peuple. Le capitalisme est en train d’accomplir un bond en avant phénoménal ; en matière d’urbanisme les milieux populaires sont exclus des villes, un lien plus étroit et visible entre développement industriel et finance se tisse, mais du coup on observe aussi parallèlement le développement du mouvement ouvrier. Pas vraiment linéaire (il a connu un frein après 1848, suite à une forte répression), et avec des constructions diverses (de Proudhon à l’Internationale), il commence cependant à regagner du terrain. Dès le milieu des années 1860, des jeunes hommes et femmes qui n’ont pas connu l’insurrection de 1848 commencent à s’organiser. Cela marque aussi la force de la Ière Internationale, où on trouve aussi bien des jeunes que des militants plus vieux et plus expérimentés.

Les élections législatives de 1869 portent le triomphe des Républicains. Cela ne s’arrêtera pas là, et deux ans plus tard la Commune de Paris est déclarée. Elle dure à peine 48 jours, mais c’est une œuvre révolutionnaire qui laissera une empreinte très forte dans les esprits. Le mouvement ouvrier bouillonnait et avait des choses à proposer, d’où la parution d’un nombre étonnant de textes de lois. Dans La guerre civile en France, Marx dira très justement de la commune : « Elle n’a pas à réaliser d’idéal, mais seulement à libérer les éléments de la société nouvelle que porte dans ses flancs la vieille société bourgeoise qui s’effondre».

L’avancée démocratique est certaine : on favorise au maximum l’expression populaire, le travail pour tous (donc pour les femmes aussi!), la mise en place d’une école libre et gratuite, la séparation de l’Eglise et de l’Etat est aussi visible dans de nombreux domaines. Les revendications anticolonialistes se sont aussi entendre. Droit du travail, service public, laïcité, égalité des sexes,.. sont les aspirations au cœur du projet des communards, largement anticipées puisqu’il faudra attendre de nombreuses années avant d’en entendre de nouveau parler.

– A Saint Etienne :

Il y eut aussi une Commune (peu de villes en France furent dans ce cas), mais elle n’eut rien à voir avec celle de Paris. La situation locale est particulière, plutôt complexe. Saint-Etienne est une grande ville, archétype de la ville industrielle du 19ème siècle, avec une représentation de tous les types d’industries possibles. On observe un dualisme entre des travailleurs indépendants (de pères en fils, passementiers, armuriers, disséminés dans différents quartiers) et un prolétariat nouveau (essentiellement des travailleurs déracinés de Haute Loire, venus pour l’industrie minière, ghettoïsés dans Saint Etienne).

En 1871 dans la population stéphanoise on retrouve environ 17000 tisseurs, 45000 rubaniers, 14000 à 15000 armuriers, 17500 mineurs (contre 6500 quelques années auparavant). Le groupe des mineurs se développe, avec une certaine forme de socialisation « entre immigrés ». Ils jouent un rôle majeur pour le mouvement ouvrier et la Commune. La distinction est essentielle à faire entre eux et les artisans indépendants, qui possèdent leurs outils de travail et chez qui on ne constate pas une grande unité. Saint Etienne est aussi marquée par un boom démographique, on parle de « ville taudis », la misère est constante, avec beaucoup de problèmes d’hygiène, c’est une ville champignon qui pousse de manière déstructurée. Arrivent des groupes d’immigrés italiens.

Le patronat n’est pas tellement uni non plus : certes, ils ont des méthodes similaires, mais les patrons traditionnels ne sont pas les nouveaux bourgeois, détenteurs d’un lointain capital, comme évoqué par Zola dans Germinal. Les conditions de travail sont aussi les mêmes que celles dépeintes par l’écrivain, et 12 à 14h par jour de labeur. Mais là encore il y a des différences entre les artisans indépendants et les autres, n’ayant pas les mêmes horaires de travail, les rencontres et réunions communes de sont pas facilitées.

Deux ans avant la Commune, 15 000 mineurs stéphanois avaient pris part à une grève, avec la personne de Michel Rondet en leader, car le patronat voulait s’approprier leur caisse de solidarité. Cela s’était terminé par l’épisode dramatiquement connu de la fusillade du Brûlé (14 morts, dont femmes et enfants). La peur de ce type de répression peut ainsi expliquer certaines réticences à s’engager en 1871. Toutefois, une constante jouera en faveur des stéphanois pour la création de la Commune : la classe ouvrière stéphanoise est très majoritairement républicaine, et anti-Empire. Mais il y a des scissions et des discordes entre organisations, et de ce fait, la tendance est plutôt à des formes de luttes spontanées, dans un côté globalement plus anarchiste que communiste.

On ne sait en général pas grand-chose de cet épisode à Saint Etienne (sauf peut-être que le préfet a été tué) parce que ça n’a duré que quelques jours, et certainement aussi parce qu’aucun projet politique n’en est ressorti comme à Paris.

Conférence : « Marx, penseur et acteur du communisme »

Avec Ivon Quiniou.

Depuis la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989, qui s’est en quelque sorte écroulé de lui-même, peu de pays se déclarent encore socialistes ou communistes (Chine, Vietnam, Cuba…). Mais la grande erreur à ne pas commettre est de croire que le marxisme est voué à l’échec parce que certaines tentatives ont échoué (Cambodge, Roumanie…). C’est le meilleur argument de nos adversaires : « marxisme = pays de l’Est = privation de libertés et mode de production qui échoue ». Il faut le récuser, comme le dit Alain Badiou, l’Histoire n’a absolument pas invalidé l’hypothèse communiste : il n’a encore jamais été appliqué nulle part! Pour cette raison il est important d’expliquer notre vision des choses, et de dénoncer la banalisation des discours diffamatoires anti-communistes. Pour Marx, le cheminement vers le communisme se fait nécessairement dans la démocratie. D’autant qu’il spécifiait que les conditions de développement et de richesse du pays devaient être favorables (autrement dit, à éviter dans les pays sous-développés comme la Russie de 1917!). Définitivement, il faut comprendre que parler du marxisme, ce n’est pas rester dans le passé mais au contraire préparer l’avenir!

Karl Marx (1818-1883) est d’origine bourgeoise, et il épouse même une grande aristocrate. Il commence des études de droit, mais s’en désintéresse vite et se redirige vers la philosophie. Brillant à l’écrit comme à l’oral, il fait aussi de la poésie dans son temps libre. Il étudie particulièrement Hegel (idéaliste à la mode de l’époque, partisan d’une vision dialectique du monde). Il se penche aussi sur le matérialisme, étudie Epicure. Plus tard il se lance dans le journalisme, politiquement très engagé bien sûr ; un de ses premiers articles est une indignation à propos d’un homme condamné pour avoir volé du bois : quand on est dans la misère, c’est légitime de voler de quoi manger ou se chauffer. Il prend ainsi assez tôt la défense des opprimés. Plus jeune encore, il avait aussi formé sa toute première critique concernant la religion : diffusant des illusions, elle masque le malheur social et empêche d’avoir une vision lucide des choses. Il faut donc passer de la critique de la religion à celle de la politique, avec l’impératif catégorique de supprimer tous les moyens d’exploitation/d’aliénation/d’oppression.

Très souvent confronté à la censure, Marx est en quelque sorte chassé d’Allemagne. Il se rend à Paris en rencontre Engels. C’est véritablement un génie, bourgeois, fils d’un riche industriel, il parle 15 langues, et écrit un livre sur la condition ouvrière en Allemagne. Heurté lui aussi à la censure, il va en Angleterre et écrit sur la condition des ouvriers anglais auprès de qui il travaillera. Il critique vivement le capitalisme et correspond avec Marx. Celui-ci écrit le Capital, et commence à démontrer sa théorie de la plus-value (surtravail approprié par les patrons, à la base de l’exploitation). Opposition bourgeois/prolétaires, baisse tendancielle du taux de profit,.. : Marx est un vrai théoricien qui démonte le système capitaliste et s’indigne contre lui. Il dénonce l’exploitation et la déshumanisation de l’Homme engendrées. Militant acharné, il s’est mis aux maths pour expliquer ses thèses, il crée la Ière Internationale, commence à devenir connu et se fait inviter partout dans le monde.

Contemporain de la Commune. Matérialiste, lucide, il déconseillait une tentative en France (les conditions n’étaient pas favorables selon lui, il y avait encore beaucoup de paysans, de droite et peu unis) mais soutient dès que l’insurrection se déclare. Il la définit rapidement comme l’événement le plus démocratique de l’Histoire ; ce qu’il nomme « dictature du prolétariat ».

Au 20ème siècle, le « bloc communiste » est comme un défi au capitalisme, une menace qui l’oblige à se réformer en introduisant des éléments sociaux à caractère marxiste. Ce n’est pas le capitalisme ravageur du siècle précédent, il contient paradoxalement des avancées d’inspiration marxiste par peur d’être renversé par lui (retraites, et plus largement : Sécu). Depuis la fin de la Guerre Froide, la situation a empiré dans les pays de l’Est, en matière de démocratie comme de développement : chute de 4 ans de l’espérance de vie moyenne, hausse des inégalités, hausse des maladies et de la mortalité infantiles… Plus globalement, les inégalités s’accentuent, des poches de pauvreté se creusent,.. Cette paupérisation relative (et non absolue!) avait déjà été évoquée par Marx : certes les pauvres sont amenés à s’enrichir un peu (puisque le niveau de production augmente perpétuellement) mais relativement bien moins que les riches, donc l’écart croît avec l’exploitation. Cela se passe dans le cadre de la mondialisation, que Marx avait aussi bien vu venir…

Savant, militant, économiste, philosophe, mais toujours critique : « les philosophes n’ont fait qu’interpréter diversement le monde, il s’agit désormais de le transformer ». Et pour ça il faut comprendre scientifiquement le monde ; comprendre la cause A d’un événement B permet, en résolvant A, d’enrayer B et même de l’abolir! (le chômage ne vient pas de nulle part, la violence dans les milieux défavorisés non plu, etc.).

Il dresse plusieurs concepts principaux du capitalisme :

¤ la domination politique, dans le cadre de la démocratie bourgeoise,

¤ l’oppression sociale, c’est-à-dire que la condition des travailleurs ne se dégrade pas mais devient de + en + incertaine,

¤ l’exploitation économique, relative à la propriété privée bourgeoise et à l’impérialisme « stade suprême du capitalisme » selon Lénine,

¤ l’aliénation, sous toutes ses formes. L’Histoire échappe aux Hommes (la mondialisation et la financiarisation accrue de l’économie l’illustrent parfaitement) alors qu’ils en sont acteurs. L’origine sociale conditionne notre vie future sans que nous ne nous en rendions compte. Dépersonnalisation de l’Homme dans son travail, qui l’empêche ensuite de retrouver son humanité après et de retrouver même le besoin de l’épanouissement ; summum de l’aliénation.

Marx n’est pas que le penseur du capitalisme, il est aussi historien et théoricien de l’Histoire, admiré pour ses travaux sur la macro-Histoire (évolution de l’Histoire à l’échelle de l’Humanité) lorsqu’il montre que toutes les sociétés sont caractérisées par des antagonismes de classes. Et pour comprendre cette lutte de classes, il faut comprendre les rapports de production dans les sociétés (maîtres/esclaves, seigneurs/serfs, bourgeois/prolétaires). De par le développement des techniques, les travailleurs vont être de + en + à vouloir mettre à bas le capitalisme (à cause de ses maux : chômage, crises cycliques, etc. car « le capitalisme porte en son sein les conditions de sa chute »). Le communisme suppose la grande industrie, les sociétés doivent en arriver à un capitalisme hyper-développé pour tenter l’expérience. Pour Marx, il faut éviter de l’essayer dans des pays pauvres, cela ne peut pas marcher car les conditions matérielles et les problèmes démocratiques empêchent que cela se passe bien et durablement. A propos de la démocratie, le terme de « dictature du prolétariat », pose souvent problème. Evoqué seulement 3 fois dans les écrits de Marx, il ne faut pourtant pas se méprendre sur son sens (déjà un peu plus léger en allemand qu’en français) parce que le prolétariat est la classe ultra majoritaire. Il n’est absolument pas question d’une dictature pour garantir le cheminement vers le communisme! Et le meilleur exemple de dictature du prolétariat est justement celui de la Commune ; la démocratie la plus aboutie de toute l’Histoire! Donc il n’y a aucune raison d’avoir peur de ce terme… Enfin, le terme de « révolution prolétarienne » effrayant aussi, il faut comprendre qu’il n’y a pas un modèle unique pour édifier le socialisme et le communisme. La question du réformisme peut notamment se poser par exemple, mais en distinguant le réformisme de méthode (« évolution révolutionnaire », un moyen pour la fin) du réformisme de fond (en guise de fin, dont le but n’est pas de renverser à terme le capitalisme).

Conférence : « La commune de 1871 à Saint Etienne »

Avec Charles Henri Girin.

140ème anniversaire de la Commune… A Saint Etienne, cela n’a duré que du 24 au 28 mars 1871. Peu de villes ont été concernées (Lyon, Marseille, Toulouse…). Le contexte politique à Saint Etienne est très pro-Républicain, assez particulier car il y a beaucoup de pression de l’Empire contre les Républicains. C’est aussi une des raisons pour lesquelles la Commune de Saint Etienne sera marqué par la mort d’un préfet (rejet de l’administration nationale). La foule qui se prête aux événements de la Commune à Saint Etienne est nombreuse, avec des passementiers, des mineurs, des armuriers,.. mais pas d’action collective ni de vrais projets, ce qui conduit à un rapide désenchantement et donc à un échec.

A Saint-Etienne, la Commune survient dans un contexte d’explosion démographique : la population a été multipliée par deux en 20 ans, profitant surtout aux grandes industries (17500 mineurs). Cette population ouvrière montre des revendications dès la fin du 2nd Empire (grèves de 69, fusillade du Brûlé). En fait ce sont plutôt des passementiers et armuriers, avec une forte présence des compagnies de Bel Air et Jacquard, qui mèneront la révolte, que des mineurs. Au niveau politique on note en particulier une forte opposition au régime impérial. En 1869, Dorian (républicain modéré) est élu à la mairie avec 62% des suffrages. Mais un an plus tard un référendum a lieu et 70% des stéphanois se prononcent en faveur de son départ…

Le texte ci-après fait un résumé des faits, mais n’est pas issu de cette conférence. Trouvé sur Internet, bien expliqué et bien documenté, il détaille le récit de la Commune de Saint Etienne de la même manière. Nous le mettons donc à la place du compte-rendu de la conférence, et nous réitérons ; non parce que nous préférons une des deux versions (les faits étant les mêmes) mais pour des raisons pratiques évidentes.

LA COMMUNE DE ST-ETIENNE

A Saint-Etienne, le 4 septembre 1870, on apprend la proclamation de la République. Le conseil municipal dissous mais toujours en place décide de nommer un conseil provisoire et Tiblier-Verne, un républicain modéré, marchand de bois, est élu maire. Le 5 septembre César Bertholon, ancien député de l’Isère en 1848, exilé en Algérie, rédacteur en chef du journal radical l’Éclaireur est nommé préfet. Le 12 septembre, il proclame « la Patrie en danger » et ouvre l’enrôlement dans la Garde nationale, il remplace le Conseil général par un Comité départemental républicain dont il choisit les membres parmi les républicains les plus connus. La municipalité lance un emprunt pour l’armement de la ville et des gardes nationaux et subventionne un Comité de défense employant 350 personnes pour produire jusqu’à 50 000 cartouches par jour. Elle s’attaque courageusement à la puissance de l’Église en supprimant les subventions aux établissements d’enseignement confessionnel et en installant dix-neuf écoles laïques dans des locaux appartenant à des Congrégations. Mais la guerre provoque une crise économique grave et une chute des commandes et des milliers d’ouvriers se retrouvent au chômage. Les républicains et socialistes de toutes tendances s’organisent en clubs.

Pendant l’automne et l’hiver 1870-1871, la gauche stéphanoise se structure en deux mouvements principaux : l’Alliance républicaine, qui s’exprime essentiellement par le journal l’Éclaireur regroupant des « modérés » et le Comité central républicain ou Club de la rue de la Vierge recrutant dans la Garde nationale, chez les ouvriers du textile, les employés de commerce et les artisans.

LE MOUVEMENT EN FAVEUR DE LA COMMUNE

Le 31 octobre, apparaissent sur les murs, des affiches rédigées au nom du préfet Bertholon convoquant le jour même les électeurs pour des élections municipales et appelant à l’élection d’une Commune. Les 13 et 17 décembre, les dirigeants du Club de la rue de la Vierge et ceux de l’Alliance républicaine organisent au Grand Théâtre des réunions pour réclamer la proclamation de la Commune. Le 29 décembre, le Club de la rue de la Vierge, dont le secrétaire est Jean Caton, fait paraître le journal La Commune avec comme sous-titre : Défense nationale. Le journal multiplie les appels en faveur de la Commune : « La Commune c’est notre titre, et nous en sommes fiers. La Commune, c’est la pyramide sociale remise sur sa base: le peuple, c’est-à-dire la totalité des citoyens. »

Le 3 février 1871, une nouvelle affiche annonce la proclamation de la Commune pour ce jour mais le conseil municipal refuse de se dissoudre, provoquant une division dans le mouvement républicain entre ceux qui font confiance aux élections et aux institutions et ceux qui veulent aller plus loin et, sans attendre, proclamer la Commune.

Aux élections législatives du 8 février 1871, les républicains sont divisés et seul Frédéric Dorian, un industriel protestant et saint-simonien est élu alors que les conservateurs ont dix élus dans le département. Le 10 février, Bertholon démissionne car il refuse de faire afficher le décret reconnaissant les droits des membres des familles royales et impériales. La méfiance des républicains radicaux et socialistes s’accroît de jour en jour et La Commune appelle à la vigilance. Le 26 février le journal écrit : « On parle déjà de désarmer la Garde nationale. C’est toujours ainsi qu’on s’y prend quand on veut étouffer la République. » Le 3 mars, malgré la désunion aux élections, les membres du Club de la rue de la Vierge et ceux de l’Alliance républicaine organisent une réunion en hommage à Jean Thomas, veloutier, trésorier du comité de grève de 1865, « vieux républicain qui vient de décéder. »

LA PROCLAMATION DE LA COMMUNE À SAINT-ETIENNE

Le 18 mars, le peuple parisien s’insurge et les 72 jours de la Commune de Paris débutent. Le 22 mars, La Commune exulte : « La révolution triomphe ! […] Le peuple se réveille et veut la Commune.» Dans la journée les autorités militaires demandent le désarmement de la Garde nationale. Une réunion se tient dans la salle du Prado ; la Commune y est acclamée et on adhère au « mouvement de Paris ». Il est décidé d’envoyer une délégation commune du Club de la rue de la Vierge et de l’Alliance républicaine, « exiger du maire la proclamation immédiate de la Commune ».

Le 23 mars, apprenant la proclamation de la Commune à Lyon, les délégués de l’Alliance Républicaine et du Club de rue de la Vierge demandent à nouveau au conseil municipal de se dissoudre et l’élection immédiate d’une Commune. Le maire Pierre Boudarel, qui a remplacé Tibier-Verné mort en décembre, répond qu’il va soumettre cette proposition au conseil municipal. Le soir, une nouvelle réunion se tient au Prado. De Rolland pour l’Alliance Républicaine déclare : « il faut aller demander la Commune avec l’arme au pied, la cartouche aux dents. »

Le 24 mars, La Commune écrit : « Gardes nationaux, imitez l’exemple de Paris; et que la triste fin des généraux pour lesquels la vie du peuple est un marchepied, serve de leçon à ceux qui seront tentés de les imiter » et le journal alléguant une conspiration « antirépublicaine de la réaction » propose à l’Alliance républicaine de former « en commun une liste de candidats en vue de l’installation de la Commune ». Une nouvelle délégation se rend à l’Hôtel de Ville et le conseil municipal (sauf huit membres) accepte de démissionner mais le maire indique qu’il reste en fonction jusqu’aux prochaines élections. Les délégués de l’Alliance républicaine se déclarent satisfaits.

Dans la soirée, une nouvelle assemblée se tient à la salle de la rue de la Vierge, les orateurs mécontents de la tournure des événements proposent la désignation de onze délégués « plus énergiques ». On réclame « d’agir sans plus tarder » et de « marcher sur l’Hôtel de Ville ». Vers huit heures, la Garde nationale occupe l’Hôtel de Ville « en chantant la Marseillaise et en acclamant la Commune ». Une heure plus tard, les lieux sont envahis par la foule, et les représentants du Club de la Vierge demandent aux autorités présentes (le préfet intérimaire, le maire et deux de ses adjoints, le commandant de la Garde nationale) de proclamer la Commune ! Évidemment, ils refusent et sont arrêtés. Vers minuit, la Commune est proclamée par la foule. Le drapeau rouge est hissé. Les prisonniers sont remis en liberté sous « la seule condition que le conseil municipal serait appelé à décider si la proclamation de la Commune à Saint-Étienne devait être soumise à un vote populaire ». La Garde nationale et les manifestants se retirent au petit matin. Pendant ce temps, les autorités désignent un nouveau préfet, Henri de l’Espée qui, immédiatement, fait placarder une affiche menaçante : « Arrivé cette nuit dans les murs de votre chef-lieu j’ai trouvé des factieux tentant de consommer un attentat contre l’ordre et les lois de la République […] Puissamment secondé par l’autorité militaire j’ai pu convoquer la Garde nationale de Saint-Étienne. La seule apparition de quelques bataillons, accourus avec un empressement dont je les remercie, a déterminé la complète retraite de séditieux. »

Le conseil municipal demande au préfet le retrait des troupes, deux escadrons de cavalerie et 160 hommes d’infanterie, massées aux abords de l’Hôtel de Ville. Une compagnie de gardes nationaux de l’ordre puis une seconde viennent assurer la sécurité du préfet installé dans la mairie qui sert aussi de préfecture. Dans la ville, le rappel est battu, des gardes nationaux en armes et des manifestants parcourent les rues « drapeau rouge en tête » et s’emparent de la Manufacture. Le 25 à midi, les délégués de la Garde nationale sont reçus par le conseil municipal qui accepte l’organisation, dans leur sein, d’un référendum pour ou contre la Commune. De l’Espée refuse. Vers quatre heures, les garde nationaux reviennent en force, bousculent les gardes de piquet qui n’ont pas le temps de fermer les grilles et font prisonniers le préfet de l’Espée et le substitut du procureur, Gubian. Dehors des coups de feu éclatent, un garde national est tué. Vers dix heures, une nouvelle fusillade a lieu à l’intérieur ; trois personnes dont le préfet sont tuées. Devant la tournure des événements Jolivalt, désigné comme commandant de la place, prend la direction des opérations ; il fait occuper la gare, le télégraphe, la poudrière et décide la tenue d’élections à la Commune pour le 29. Il fait placarder deux affiches au nom d’un Comité révolutionnaire qu’il préside et réquisitionne quatre cent mille cartouches, un canon et huit mitrailleuses.

Caton puis Antoine Chastel sont nommés secrétaires du Comité, Guillaume Michel-Berton commandant provisoire de la Garde nationale, et Durbize, chargé de la Direction du télégraphe. Le 26, Gubian et un garde national de l’ordre, Édouard de Ventavon, sont traduits pendant trois heures devant le « Comité constitué en tribunal », les deux hommes sont acquittés et libérés. Des cartes d’électeurs sont commandées, les cafés sont ouverts et les élections préparées. Mais le mouvement reste isolé, peu de décisions sont réellement prises, la foule commence à quitter les lieux. Le 27, les troupes commencent à arriver de Lyon et le 28 à six heures du matin, l’Hôtel de Ville est encerclé, le drapeau rouge est enlevé. Un envoyé provisoire, de Mongolfier, nanti des pleins pouvoirs pour rétablir l’ordre arrive. Il ne reste qu’une soixantaine de personnes dans l’Hôtel de Ville qui se rendent après négociation. La Commune de Saint-Etienne est vaincue.

LA RÉPRESSION

Les arrestations se multiplient ; les militants du Club de la Vierge se cachent. Mais le 30 avril les élections municipales portent à la mairie trente-deux candidats présentés par les républicains de l’Alliance républicaine et les socialistes du Comité central encore en liberté, contre quatre élus soutenus par Ducros. Boudarel est réélu maire mais immédiatement révoqué par Ducros qui le remplace par un délégué de la préfecture puis finalement remplace le conseil tout entier par une commission.

Les autorités se méfient d’un procès à Saint-Etienne et après quelques hésitations cinquante-six accusés (douze sont contumaces) sont traduits devant la cour d’assises du Puy-de-Dôme à Riom. Caton, Chastel, journalistes à La Commune, Marchetti, Tamet et Thibaudier, membres de l’Internationale et Amouroux, délégué de la Commune de Paris, sont condamnés à la déportation en enceinte fortifiée ; un accusé est condamné à douze ans de travaux forcés, trois à la déportation simple, quatorze à des peines de un à dix ans d’emprisonnement, vingt-trois prévenus sont acquittés.

Les arrestations se poursuivirent longtemps encore, jusqu’en 1874. Lorsqu’en 1873 se déclencha une grève des mineurs, le préfet de police écrivit au préfet de la Loire : « Je suis informé qu’une grève vient d’éclater à Saint-Étienne, elle est probablement l’œuvre des délégués de l’Internationale qui ont dû se réunir clandestinement dans cette ville ». La réaction se remettait difficilement de sa peur. L’Internationale, proscrite, lui semble resurgir à chaque colère populaire. Le spectre de la Commune la hante encore.

Anne Morfin-Caton (arrière petite-fille de Caton) & Pierre-Henri Zaidman