Les révolutions basées sur les droits: Analyse critique

« QU’ILS MANGENT DES DROITS ! »

-Ou la remise en cause du discours de la gauche sur les droits-

« Quand vous poursuivez un accusé en justice pour vol, votre Honneur, lui-demandez-vous depuis combien de temps est-il au chômage ? Enquêtez-vous ne serait-ce que sur son contexte social ? Vous ne faites que l’envoyer en prison sans plus de considérations. Vous emprisonnez le pauvre bougre qui vole parce qu’il a faim ; mais pas un seul parmi les centaines qui dérobent des millions n’a passé une seule nuit derrière les barreaux. » FIDEL CASTRO


Les droits ne se mangent pas

« Qu’ils mangent des droits ! », clament les Marie-Antoinette d’aujourd’hui, le courant de gauche qui voit dans les droits un point de départ pour le changement social. « Les droits ne se mangent pas », voilà ce que répondent les communistes. Et l’histoire confirme ceci. Quel que soit le contexte, depuis la Révolution Française, partout où les droits ont été le paradigme du changement révolutionnaire, ils ont échoué à permettre d’émanciper les opprimés de leur condition.

Où sont aujourd’hui la Liberté, l’Égalité et la Fraternité proclamées par les révolutionnaires bourgeois de Robespierre ? Tout comme dans le dernier cercle de l’Enfer de Dante, le cercle de la traîtrise (un bon terme pour décrire la trahison envers les opprimés), elles sont devenues les trois facettes d’un même mal. Une forme de « liberté » appliquée par le modèle des droits est maintenant devenue le visage de l’oppression, et c’est sous sa tutelle que la classe dirigeante peut proclamer sa supériorité morale dans son exploitation des peuples du monde. La forme « d’égalité » appliquée est l’égalité d’individus abstraits, sans tenir compte de leurs origines sociales, ce qui mène à l’oppression capitaliste perpétuelle ; ceci sera développé plus bas. La « fraternité » de la révolution s’est dissoute dans un système qui démantèle activement les liens populaires et promeut des modes de vies individualistes.

Où sont la Liberté, l’Égalité et la Fraternité de l’ANC et de Mandela, qui ont combattu l’apartheid  sous le modèle des droits,usé jusqu’à la corde  ? Aucune liberté ne peut être appréciée pour les gens qui ont quitté un système d’apartheid racial assumé pour en trouver un qui est tacitement raciste, un système dans lequel les blancs contrôlent toujours les terres, les mines, les usines : en somme la propriété, c’est à dire la source du pouvoir social dans un système capitaliste impérialiste. Aucune égalité ne peut être vécue par les misérables de ce monde, quand leurs propres terres sont occupées par leurs oppresseurs, et pour qui les bureaucrates du gouvernement ne se soucient pas. Aucune fraternité ne peut être ressentie entre ceux qui sont opprimés pour des raisons nationales, et ceux qui oppriment pour ces raisons.

Une réaction « réflexe » face à une critique de l’ANC et des révolutions fondées sur les droits est fréquente : « pourquoi quiconque se soucierait de réappropriation des moyens économiques dans une société où on est traité d’être inférieur ? » Cette réaction est peut-être justifiée : après tout, ceux qui critiquent [l’ANC] sont souvent des alliés du précédent régime colonial. Mais le but n’est pas de dénigrer la lutte des opprimés, mais plutôt de délimiter les limites des révolutions basées sur les droits afin d’apprendre du passé et et de faire en sorte que les prochaines vagues révolutionnaires ne tomberont pas dans les mêmes écueils. Dans le dernier exemple, la critique de ces expériences se veut exiger d’abandonner le paradigme des droits pour le paradigme de renversement de toutes les conditions sociales dominantes.


Droits capitalistes et égalité, un paradoxe

 « L’Égalité face à la loi » est la représentation de l’oppression légalisée : comment peut-on considérer les opprimés et ceux qui les oppressent comme égaux de quelque façon que ce soit ? On ne l’est pas [égaux], et on vit dans un système qui de façon systématique donne du pouvoir aux uns et aliène les autres, donne du pouvoir à une minorité et aliène les masses. Pour réaliser ce tour de passe-passe, les droits évitent à tout prix d’aborder tout contexte ou arrière-plan social, et sont modelés pour des individus abstraits, c’est à dire des individus inexistants. De cette façon, la classe possédante peut à la fois offrir des droits abstraits tout en privant le peuple de ses moyens de subsistance.

La propriété capitaliste est une créature étrange : bien que toutes et tous y aient droit, en vérité seul très peu de gens la contrôlent vraiment. Ce que Marx et Engels ont commenté : « Vous êtes horrifiés de nos intentions d’en finir avec la propriété privée. Mais dans votre société existante, la propriété privée est déjà niée pour neuf dixièmes de la population : son existence pour la minorité est seulement due à son absence des mains de ces neuf-dixièmes. Vous nous reprochez, ainsi, de vouloir en finir avec une forme de propriété dont la condition nécessaire à son existance est l’absence de toute propriété pour l’immense majorité de la société. »

Les droits dissimulent cette vérité dérangeante en déplaçant le point de vue du contrôle effectif du pouvoir (ce qui est positif), pour le rediriger sur la défense de revendications déjà existantes de propriété et la défense d’acquisition de propriété nouvelle. Bien évidemment, quand seule la classe possédante contrôle à la fois ces réclamations pré-existantes et le pouvoir d’achat pour étendre ces revendications, l’état va nécessairement défendre la stratification sociale.

Les droits économiques sont différents des autres types de droits. Tandis que des droits tels que la propriété  sont sensés légiférer sur des objets qui sont soit produits soit pris à la nature par les gens, des droits tels que la liberté d’expression légifère des objets qui ne sont pas tenus par des contraintes de production. Cette distinction est cruciale dans la mesure ou la production [par le peuple] à l’heure actuelle est organisée selon les lignes d’une société de classe capitaliste, c’est à dire propriétaires des moyens de production contre travailleurs dépossédés des moyens de production. En préservant de droit à la propriété pour l’élite, le système de classes est perpétué. En Afrique du Sud, cela a signifié préserver la même structure de classe que celle qui existait durant l’apartheid.

Quand il s’agit d’objets qui sont restreints en nombres et sujets à la production capitaliste, les droits à la propriété se tiennent en directe opposition face à l’égalité, puisque l’appropriation du produit social est toujours réalisée sur la base de la position que l’on tient dans la sphère de production, que ce soit ouvrier, directeur ou capitaliste [rentier] . Plus on est proche de la position capitaliste, plus on sera en mesure d’approprier. Dans la mesure ou la classe capitaliste en Afrique du Sud était presque intégralement blanche, l’absence de remise en cause de leur propriété sur le capital a conservé l’intégrité d’une économie dominée par les blancs.


Pourquoi est-ce que le changement progressiste a lieu ?

Si il y a une chose que l’histoire nous a appris, c’est que la classe dirigeante ne donne jamais rien par pure bonté : les concessions de l’état capitaliste ont toujours comme but de pacifier les mouvements progressistes. En un sens, les droits et ce qui y est assimilé sont le produit de la mobilisation politique de plusieurs couches des masses. Les buts progressistes atteints dans les années 60 avec le mouvement des Droits Civiques sont un exemple parfait d’une mobilisation menant à une trêve achetées en concessions sous la forme de droits. Chacun sait, en revanche, que ces victoires légales  ne sont souvent pas respectées et même si elles l’étaient toujours, elles ne changeraient pas la stratification sociale particulière à une société capitaliste puisqu’elles sont défectueuses en elles-même.

Le mouvement des Droits Civiques a gagné d’importantes victoires pour la communauté Noire en Amérique, mais celle-ci continue d’être une communauté opprimée à tous rapports : économiques, politiques, idéologiques, culturels, militaires. Les Blancs contrôlent la majorité des positions de direction, la vaste majorité du capital, des moyens de production culturels et idéologiques ; ils ont des troupes dans les quartiers Noirs. Le mouvement Ouvrier a conquis le droit de s’organiser légalement, mais entre temps est devenu un front de la classe capitaliste : le système légale utilisé par l’état capitaliste exige que le mouvement ouvrier reconnaisse la légitimité de la structure de classe et les droits qu’ont les capitalistes et leurs directeurs à prendre les décisions importantes concernant les conditions de travail, les salaires, l’investissement, etc.

Pourquoi ce schéma continue-t-il à se répéter ? Principalement parc que les droits sont une construction contradictoire.


Contradictions entre les droits

Les droits sont en contradiction les uns avec les autres, tout comme les classes et autres groupes sociaux ont des intérêts contradictoires. Prenons par exemple la 9ème section de la Constitution Sud-Africaine :

« L’État ne peut pas discriminer injustement directement ou indirectement contre quiconque sur une ou plusieurs raisons, incluant la race, le genre, le sexe, la grossesse, le status marital, l’origine ethnique ou sociale, la couleur, l’orientation sexuelle, l’age, le handicap, la religion, la conscience, la croyance, la culture, la langue et la naissance. Personne ne peut discriminer injustement, directement ou indirectement contre quiconque pour une ou plusieurs raisons […]. La législation nationale doit être saisie pour prévenir ou prohiber des discriminations injustes. »

Il serait difficile d’expliquer ce qui se passe sur le graphique suivant, si l’on ne comprend pas que le droit à la propriété et le droit de se contracter [sic] sont en contradiction avec le contenu de cette section de la constitution :

 

Revenu par groupe racial : blanc ; asiatique ; métis ; noir

Rand sud-africain par habitant, en milliers

Le système lui-même discrimine les opprimés et gribouiller sur une feuille de papier le droit de ne pas être discriminé, un droit sens contenu applicable en pratique dans une société construite sur la discrimination, ceci n’est rien d’autre que de l’apparence cosmétique. Pour changer une situation d’oppression économique systémique, l’élite économique doit être renversée, et des incursions despotiques dans leur droit sacré à la propriété privée sur les ressources d’une nation doivent être réalisées.


Idéologie et droits

 Les droits ont aussi des répercussions sur l’idéologie publique. L’accent mis sur les libertés négatives [liberté vis-à-vis d’interférences d’autrui] opposées aux libertés positives [possession des moyens pour remplir son potentiel], typique des doctrines libérales classiques et néolibérales renforce l’individualisme de la société capitaliste, où ce qui compte le plus est que les droits de propriété soient respectés, contre les moyens d’existence humains sur lesquels la propriété empiète : un vrai fétichisme de la propriété. De plus, la pression pour des droits politiques classiques plutôt que des droits sociaux renforce la distinction entre privé et public, une fausse distinction pourtant nécessaire à l’idéologie capitaliste.

Tout ceci ne fait qu’égratigner la surface. Une analyse de l’histoire des droits montre qu’ils sont surtout générés par des traditions politiques occidentales : ceci donne aux états impérialistes les revendications qu’ils utilisent tout le temps pour « apporter la civilisation » à d’autres nations, c’est à dire, apporter la guerre et coloniser d’autres nations. Le discours de droits garantie une impression de pouvoir et de vertu dans les aventures impérialistes, de sorte que quand les puissances impérialistes occidentales décident de bombarder la Yougoslavie ou l’Irak, de renverser Sukarno ou Allende, ou de sanctionner des pays  autour du monde, ces puissances impérialistes peuvent le faire sous prétexte de défense des droits de l’homme. Quand les impérialistes accordent des privilèges aux réfugiés venant de pays révisionnistes pendant la Guerre Froide et quand ils laissent 20 000 personnes se noyer dans la Méditerranée afin de conserver leurs frontières intactes, ils utilisent les même codes de droits.


Si nous ne voulons pas des droits, alors quoi ?

Donner de la crédibilité au discours de droits c’est adopter l’idéologie du système que nous combattons. Les communistes ont besoin d’un modèle qui remette en cause et s’oppose au changement formel et cosmétique, au profit d’un vrai changement matériel. Durant la Révolution Culturelle Chinoise, les révolutionnaires avaient repris un paragraphe de la Lutte des Classes en France de Marx pour en faire un programme en quatre points nommé « Les quatre Tous » :

  1. L’abolition de toutes distinctions de classes en générale ;
  2. L’abolition de toutes relations de production sur lesquelles elles reposent ;
  3. L’abolition de toutes relations sociales qui correspondent à ces relations de production ;
  4. Révolutionner toutes les idées qui résultent de ces relations sociales.

C’est le modèle à suivre pour un programme maximum pour les communistes ; un programme qui incluse l’expropriation et la mise en commun de la propriété, avec le éliminations conséquentes et graduelles des classes socio-économiques ; l’abolition de toutes pratiques culturelles et politiques qui restent alignées sur les relations de production du capitalisme ; et révolutionner et réformer nos pensées, pour libérer nos esprits de toutes formes de discrimination.


Une mise en garde

Bien qu’un changement basé sur les droits ne puisse faire partie du programme maximum des communistes, il peut certainement faire partie d’un programme minimum pour des luttes immédiates. Il est clair que le système sert les puissants, mais leurs concessions ne sont utiles que quand elles peuvent vraiment assurer la paix sociale, et il est d’autant plus dure de le faire quand il s’agit de ceux qui sont opprimés pour leur nationalité, leur genre ou leur handicap. Les droits peuvent réduire l’expérience des discrimination  des nationalités, genres et handicaps opprimés, du moins partiellement, et ces luttes immédiates sont importantes à gagner. De plus, ceux qui font quotidiennement face aux oppressions n’iront probablement pas penser que des droits légaux y mettront fin, et donc vont plus probablement rester sceptiques vis-à-vis de l’ordre social tout en bénéficiant de nouveaux droits civiles et sociaux.

En conclusion, les droits devraient être pris comme un terrain de lutte transitoire, un terrain sur lequel les luttes pour les moyens de subsistance immédiats du peuple peuvent être menées. Tout en prenant ceci en compte, nous devons rester dans l’opposition face au système et voire ses concessions pour ce qu’elles sont – des tentatives de pacification sociale.

-Klaas V.
(Traduction en français AT)