Vue d’un habitant de l’est de l’Ukraine

L’interview de Vladimir ci-dessous:

“Quelles sont les raisons des protestations à Kiev ?

La principale cause des protestations est la non signature de l’accord d’association avec l’Union Européenne par le gouvernement ukrainien. Les manifestations étaient pacifiques jusqu’au 30 novembre où il y a eu une dispersion par la force, ces images ont fait le tour du monde.
De plus, les manifestants de la place Maïdan croyaient sincèrement qu’avec cet accord d’association le régime des visas aurait été aboli ou simplifié alors qu’il n’y a aucun mot à ce propos dans le document d’association. Je dirais même que la majorité des gens ne comprennent pas ce que contient ce document et ils ont été délibérément induits en erreur par les déclarations nébuleuses de l’opposition à propos de l’intégration à l’Union Européenne. La dispersion par les forces de l’ordre a causé la réaction du public et très rapidement des gens de différentes régions du pays sont venus à Kiev. Dans le même temps la partie la plus radicale des manifestants s’est activée, capturant le bâtiment du conseil municipal de Kiev. L’autre signification et but de ce mouvement, et ce n’était pas caché, était la volonté d’un renversement total du pouvoir, un coup d’État, si nécessaire par la force et les armes. C’est ce qui s’est ensuite passé. Les manifestants de Maïdan ont appelé ça une révolution.

Peux-tu nous expliquer comment le gouvernement a été renversé ?

Tout d’abord, il faut parler du rôle des dirigeants de l’opposition. Après une série de négociations sans fin, à laquelle le pouvoir a été forcé, à un moment où il y avait des morts dans les rues, l’opposition a obtenu avec chantages et mensonges cette décision du Président à propos de la démission du gouvernement, non sans l’aide d’hommes politiques intermédiaires occidentaux. Le gouvernement ukrainien a donc accepté de démissionner et a accordé des concessions aux manifestants pour éviter la confrontation militaire et pour réduire le degré de tension dans les négociations. On a vu par la suite que ce n’a pas été suffisant.

Qui a pris le pouvoir à Kiev ?

En ce moment le pouvoir a été saisi par l’opposition sous la direction stricte des radicaux. Les sièges du gouvernement sont répartis sur la base de la loyauté au Maïdan, pas grâce aux qualités professionnelles. L’organisation radicale d’extrême-droite “Secteur Droit” (Pravyi Sektor) a promu le pouvoir de ses partisans par la pression et les menaces, ce sont souvent des gens peu instruits et ayant peu de compréhension de la politique et de la gestion d’un pays, mais ce sont les plus ardents défenseurs des idées nationalistes.

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Quelle est ton opinion (et celle des habitants de l’Est en général) sur ces événements ?

Les avis des gens du Sud et de l’Est sont divisés. Certains reconnaissent le gouvernement actuel comme légitime, mais la plupart pensent que ce qui s’est passé est un coup d’État, n’ayant rien en commun avec un changement de pouvoir constitutionnel. Inutile de dire que l’un des premiers actes du Parlement qui a été la suppression de la «loi sur les langues régionales» (le russe est une langue régionale dans de nombreuses régions) est une manifestation d’intolérance aux habitants du Sud-Est de l’Ukraine. Plus tard, le Parlement a modifié son point de vue, mais la réaction des gens n’a pas changé. Dans de nombreuses villes du Sud-Est s’est déroulé et se déroule d’importants meetings pro-russes en faveur de la fédéralisation de l’Ukraine et de la reconnaissance du russe comme deuxième langue officielle. Toute cette agitation se déroule dans un contexte de stagnation économique, de reculs généralisés des salaires et des avantages sociaux.

Quel est le rôle des hommes politiques occidentaux dans ces événements?

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Les hommes politiques européens et américains ont depuis le début des événements ouvertement soutenu l’opposition ukrainienne (le gouvernement actuel), montrant un manque de respect flagrant pour le Président légitimement élu. Cette grossièreté ostentatoire ne s’est pas manifestée seulement par les discours officiels des chefs d’état européens et de l’Union Européenne, mais aussi par l’arrivée d’une multitude de personnes venant d’Occident sur le Maïdan (ndlr : par exemple les français Bernard Henri Lévy ou Raphael Glucksmann). Depuis l’estrade de la place Maïdan, ils ont entonné des slogans anti-gouvernementaux, vanté les mérites de l’intégration dans l’UE et encouragé la lutte. Leur rhétorique a été de faire passer leurs opinions comme celles de tous les citoyens de l’Union européenne ou des États-Unis. Ces méthodes ont intentionnellement augmenté le degré de pression du public. Tout le mal et la misère présents dans le pays ont été mis sur le dos du Président sans preuves évidentes ou faits réels. Un exemple spécifique : la mort tragique du 19 au 21 Février au centre de Kiev de plus de 80 personnes tués par des snipers inconnus. Les médias ont immédiatement accusé le Président d’avoir du sang sur les mains. Les médias et hommes politiques occidentaux ont relayé ces informations. Mais deux semaines plus tard, grâce à la publication d’une conversation téléphonique entre des hauts fonctionnaires européens (ndlr : entre Cathrine Ashton, 1re vice-présidente de la Commission européenne, et Urmas Paet, ministre des Affaires étrangères estonien), il a été révélé la nature mystérieuse de ces meurtres, l’absence de toute enquête sur ces faits et l’implication possible de dirigeants de l’opposition. Regardez aussi l’étrange renversement du Président qui a eu lieu immédiatement après la signature d’un accord entre le Président et l’opposition lors une table ronde avec la présence des Européens “garants de la démocratie”. C’est arrivé seulement quelques jours avant la fin des Jeux olympiques d’hiver à Sotchi. C’est comme si les exécuteurs voulaient réaliser ce scénario juste à temps. Ils l’ont fait dans les temps en effet, mais n’ont pas pris en compte un autre scénario, celui de la Crimée.

Que se passe-t-il en Crimée ?

Après la capture du pouvoir à Kiev par les radicaux, tout dissident pouvait être persécuté. L’un des représentants du “Secteur Droit” a déclaré qu’un soi-disant « Train de l’Amitié » sera envoyé en Crimée, pour rétablir l’ordre dans la région. En fait, c’était une menace militaire pour la population de la péninsule de Crimée. Actuellement, la péninsule est de facto contrôlée par les forces armées du pays voisin, par les Cosaques et par les unités d’auto-défense. Cela s’est produit pour quatre raisons principales :

-Les manifestations de masse de la population de Crimée, où les manifestants ont appelé à l’aide à la Russie et à Poutine personnellement. En conséquence, les autorités de Crimée ont rédigé une déclaration officielle demandant de l’aide à la Fédération de Russie;

– La composante ethnique. La population de Crimée est en effet composée de plus de 60% de russes;

– La caractéristique historique de la péninsule. La Crimée était une terre historiquement russe (depuis 1783);

– À la lumière de ce qui précède, la Russie n’a pas le droit de laisser ses compatriotes sans protection. Et les revendications de la Fédération de Russie pour que la péninsule de Crimée redevienne russe n’ont pas été fermées.

Dans les manifestations du Sud et de l’Est du pays, on peut voir des drapeaux russes et même des drapeaux soviétiques, quelles sont les sentiments de la population à propos de la Russie et de l’Union Soviétique ?

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L’émergence de drapeaux russes et soviétiques dans les manifestations des villes du Sud-Est de l’Ukraine est un indicateur de soutien en faveur d’un rapprochement avec la Russie, ainsi qu’un appel à honorer notre passé commun. Les appels à l’adhésion à la Fédération de Russie n’ont pas de soutien réel, bien que dans certaines circonstances cette option soit possible. Quant aux réactions du public aux actions de la Russie en Crimée, de nouveau la population est divisée en deux parties. La première estime que c’est une agression injustifiée, la seconde que c’est une nécessité logique. Qui a raison ? Le temps le dira. Personnellement, je pense que les événements qui ont eu lieu à Kiev prouvent le triomphe de la violence sur la loi et le bon sens. Dans le même temps, il y a une guerre médiatique féroce, puisqu’on peut voir les informations de trois sources différentes se contredire.

Les pensées sur l’URSS sont positives. Cela rappelle une période de stabilité, de prospérité et de confiance en l’avenir. C’est la nostalgie d’une vie meilleure, qui est restée dans les cœurs et les esprits depuis 23 ans. C’est ce que beaucoup de gens pensent dans le Sud et l’Est de l’Ukraine.

Sur la base de ce qui précède, je voudrais résumer que la population ukrainienne devient à son insu l’otage d’un grand jeu géopolitique d’échelle mondiale, dont la fin est très imprévisible. Une Ukraine globale et unifiée, secouée par des contradictions internes ne permettra pas de répondre aux questions réelles de la société ukrainienne et de la réalité ukrainienne. Le soutien des dirigeants occidentaux au gouvernement actuel, ainsi que le manque de reconnaissance envers les autorités russes menacent un développement sain de la situation.

Chacun de nous croit en la sagesse des gens, c’est ce dont dépend le sort du pays. Mais peut-on vraiment attendre de la prudence après ce qu’il s’est passé à Kiev? C’est une vraie question.”

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